Côté plume

Atelier de Leil (79) : L’ivresse des friches


En ce dimanche tranquille, j’envisage enfin mon retour à l’atelier d’écriture de Leiloona,du blog Bricabook.
Je vous en rappelle rapidement les principes. Chaque semaine Leiloona nous propose une photographie sur laquelle chacun écrit un texte en toute liberté.

Le cliché de cette semaine est signé Karine Minier.

@KarineMinier

Voici donc ma participation.

L’ivresse des friches

Le cœur en déroute, elle s’abandonne au hasard. Peu importe où ses foulées la mènent. Elle avance, mue par l’impérieux besoin d’une respiration. Une vraie goulée d’air qui l’empêcherait de se dissoudre dans les méandres de son quotidien. Ses jours suffoquent, ses oripeaux lui collent à la peau. Ses pensées-carcan l’emprisonnent davantage encore que l’étroitesse des murs de son appartement.

Elle se perd dans les broussailles de ses désirs, qui se heurtent dangereusement à ses réalités. Sa ligne de vie est ténue, le fil de sa raison menace de se rompre. Insulaire, murée dans sa solitude et les stigmates d’un passé houleux, elle est lasse de ses récifs et de ses propres écueils. L’immobilisme la paralyse peu à peu.

En ce matin nouveau, quand la ville dort encore, son pas résonne sur l’asphalte, ce qui lui semble préférable à l’écho de sa voix contre ses murailles. Elle s’éloigne, gagne les faubourgs qu’elle esquive rapidement pour emprunter un chemin improbable. Elle traverse une brande, puis s’enfonce dans des herbes hautes qui lui cinglent les mollets. Son gilet s’accroche dans des épineux. Elle sourit . Elle songe qu’elle est à l’unisson avec cette nature en friches….Sauvage, désordonnée, anarchique presque. Laissée pour compte ou ivre de liberté ?

Elle reste un instant à l’écoute de cette terre marginale, elle aussi. Elle perçoit un ordre dans ce désordre, comme une entropie aussi nécessaire que salutaire.

Son cheminement se complique. Les éléments ont repris leurs droits, la végétation s’épaissit. Elle s’immisce entre les arbres et les buissons alors que la lumière se fait plus discrète. Parfois, une branche lui griffe le visage. Elle savoure pourtant ce clair-obscur lorsqu’un rayon de soleil se faufile entre les feuillages comme pour la rappeler à la vie.

Puis c’est comme une apparition. Un saisissement. La forêt s’estompe, cédant la place à des friches d’un autre genre, des vestiges d’une modernité perdue. Où mène donc cet étrange couloir de béton qui tient du ruisseau vide ou de la piste de bobsleigh désaffectée ? Que sont ces potences qui lui rappellent l’air du Bal des Pendus ? Elle s’assied sur le parapet moussu, le caresse, s’y allonge. Le désir de prendre de l’altitude est plus fort, elle escalade l’un de ces gibets. Son ascension est lente, son corps et ses forces vives se sont tellement sclérosées au fil des années !

Enfin, elle contemple l’horizon, ce duel entre nature et culture, ces graffitis dont les couleurs la ravissent . Elle se demande qui l’emporte dans ce grand charivari. La finitude ou la vie ? Cette verdure sauvageonne ou la main humaine qui brave ce chemin pour y déposer sa trace ? Et sans qu’elle comprenne pourquoi, la vue et ses réflexions sont comme un baume à sa vie.

Le cœur dérouté, elle veut s’offrir aux hasards heureux. Elle veut la vie, la vraie, intense. Elle veut les palpitations, les frémissements, la chamade et l’ivresse. Surtout l’ivresse !

17 réflexions au sujet de “Atelier de Leil (79) : L’ivresse des friches”

  1. Quel plaisir de retrouver ta plume Sabine ! Je la trouve toujours aussi belle et fluide ! J’ai aimé ce cheminement intérieur comme un rêve éveillé qui nous est conté et dans lequel on se fait transporter jusqu’à l’ivresse ! bravo et à tout bientôt encore j’espère !

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  2. Toujours un plaisir de te lire … J’aurais aimé te dire que j’ai adoré le passage avec l’osmose entre ton personnage et la nature, mais je crois que j’aime encore plus la fin quand elle choisit l’ivresse ! Merci de nous avoir offert ce texte. 🙂

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  3. J’aime la progression de ta narratrice, l’évolution de ses pensées qui colle parfaitement à son cheminement dans la nature. Et la chute est tout simplement superbe ! Bravo !

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  4. Un vrai plaisir de retrouver tes mots. Je suis toujours fan. Merci pour ce doux moment que l’on traverse avec ton personnage et grace auquel on ressort, comme elle, plus léger.

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