Après un petit écart la semaine passée, faute de temps, je retrouve aujourd’hui le chemin de l’atelier d’écriture de Leiloona, du blog Bricabook.
Je retrouve aussi Julien Ribot dont les clichés sont autant de défis.
Voici ma participation.
Comme en apnée
Lise sort de sa cabine, en catimini, puis parcourt les couloirs du pont supérieur à pas de louve discrète. Il est à peine 5 heures, mais elle se plait à vivre en osmose avec le soleil. Loin d’imaginer que le monde ou l’avenir appartiennent à ceux qui se lèvent tôt, elle en profite surtout pour exister à contretemps, à contre-courant.
Ses déambulations matinales ne croisent pas âme qui vive. A peine perçoit-elle quelques ronflements ou soupirs qui sont autant de gages de sa tranquillité. Même l’équipage semble encore profiter d’un sommeil réparateur. Elle traverse la salle de restauration, puis les salons et l’auditorium. Elle contemple avec un léger dégoût les stigmates de la soirée. Le souvenir des flonflons, des danses idiotes sur des chansons débiles orchestrées par les animateurs la fait frissonner. Elle ne comprend pas ces instincts moutonniers, ces gens qui s’amusent sur commande dès qu’on leur donne le LA. Elle a toujours trouvé ridicules ces ambiances de croisières…
La piscine à cette heure est déserte. Aucun parfum de monoï, aucun cri d’enfant, aucun rire débile ne viendront la perturber. Elle ignore le panneau interdisant toute baignade en dehors des temps de surveillance. Elle prend même un malin plaisir à jeter négligemment sa serviette sur la chaise du maître nageur, ce bellâtre au sifflet qui arbore des airs importants. Que pourrait-elle bien craindre, franchement !
Passant outre l’étape de la douche, obligatoire elle aussi, elle se jette à corps perdu dans la fraîcheur de cette eau si bleue qu’elle en paraît artificielle.
Elle multiplie les songes au rythme des longueurs. Il lui semble que chaque parcelle de son corps se revigore. Ses cellules se rassemblent enfin. Elle fend alors l’eau azur de plus en plus vite, comme à la rencontre d’elle-même, cet être continuellement menacé de dissolution en société.
Au risque de passer pour une hérétique, elle savoure ces instants volés, presque sauvages, aussi salutaires que nécessaires. Profondément solitaire, elle rêve de grands espaces vides, de paysages campagnards et de balades en compagnie des oiseaux. Le pépiement des hommes l’épuise, leurs constantes gesticulations la tétanisent. C’est comme s’ils lui bouffaient son oxygène.
Il lui faudra pourtant sortir de ce cocon aqueux, elle le sait. Dans un moment, elle prendra une profonde respiration, elle oubliera certaines erreurs de casting, se vêtira de son tailleur puis endossera son rôle. Spécialiste en événementiel, elle gérera les derniers détails de ce mariage et veillera à ce que tout se déroule à la perfection. Indifférente à elle-même, elle traversera cette longue journée en apnée.
Oh oh , cette demoiselle a été victime d’un conseiller d’orientation incompétent ou pervers 😉 ! Je lui suggère un élevage de chèvres dans le Larzac.
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Ohhh comme ton texte est divin ! Si bien écrit et une âme si bien décrite que je pourrais presque me reconnaître à certains moments ! J’ai adorée la voir défier les interdits ! Bravo et merci
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Waouh Nady, merci beaucoup ! Cette âme s’est imposée à moi d’un trait, comme une évidence.
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La description de l’état d’âme de ton personnage est d’un réalisme époustouflant : on s’y croirait ! La pauvre, travailler dans l’évènementiel et être « profondément solitaire »… Il y a là comme une légère incompatibilité.
Merci pour cette très agréable lecture 🙂
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C’est fou comme parfois on emprunte des chemins contraires à soi-même ! Merci pour ton passage ici et ta lecture.
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C’est très bien écrit, je me suis vraiment demandée ce qu’elle faisait sur ce … cette galère ! Et l’explication, toute simple, mais qui nous renvoie à toutes les contraintes qu’on subit, en particulier dans le travail.
Bon, j’ai un peu du mal à la plaindre. Dis-lui de ma part de venir bosser dans ma maison de retraite, lol !
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En même temps quand tu te trouves sur un paquebot de croisière pour le boulot c’est moins fun, mais c’est sûr qu’il y a pire comme job.
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La pauvre … elle revêt un masque le jour …
Je l’aime ton héroïne sauvage, qui savoure le petit matin. Je m’y vois bien, tiens … Je la reconnais en fait cette femme ! 🙂
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J’aime voler des instants ainsi … quant aux masques, ils s’appliquent plus ou moins à nous tous, selon les jours.
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Entièrement d’accord, oui ! 🙂
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Qu’il est bon de profiter des instants volés avant le retour à la dure réalité. J’ai beaucoup aimé la description que tu fais de ton héroïne solitaire. On peut facilement s’identifier à elle je trouve, enfin pour ma part. Par contre, je te suggère de lui conseiller de changer de boulot, la pauvre risquerait de craquer tôt ou tard 😉
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J’adore ces instants volés aussi ! Une reconversion s’impose en effet.
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Très joli texte? J’aime beaucoup cette femme qui fait fi de toute convention quand elle est à l’abri des regards puis revêt son habit social ensuite. Double facette… c’est finalement le cas pour tout le monde.
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Le point d’interrogation est un point tout court… oups
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Parfaitement d’accord avec toi.
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