BD

« Manouches », Kkrist Mirror, Edit° Steinkis, 2016


C’est encore un beau coup de cœur que je partage avec vous cette semaine. Un sublime album de Kkrist Mirror consacré à l’univers des Manouches, complété par une postface d’Henriette Asséo. Vous trouverez également dans les dernières pages bibliographie, filmographie ainsi qu’une play list.

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Kkrist Mirror s’est inspiré d’un récit de Daniel Boitard, instituteur des gens du voyage.

L’album se présente donc comme un témoignage, une percée au cœur de cette vie si particulière, de cette communauté si souvent stigmatisée, même si beaucoup sont français depuis 1570 et fervents catholiques.

C’est essentiellement à travers le personnage d’Archange  Maier, alias Tinoir, qu’il nous permet de découvrir les espoirs et les difficultés de tout un peuple originaire de l’Inde. Archange Maier, c’est son nom d’école, qu’il n’a pas beaucoup fréquentée.  Tinoir «  c’est son nom de voyageur, celui qui n’appartient qu’aux siens », celui que sa grand mère lui aurait donné en découvrant son teint mat. Nous le découvrons dans la gestion de son clan, dans leurs confrontations régulières à la police et à une justice aussi arbitraire qu’absurde qui leur refuse par exemple le droit de séjourner sur un terrain constructible dont ils sont pourtant propriétaires.

L’auteur mêle à la description de ce quotidien, souvent assez noir, des bribes d’histoire qui donnent à l’album une dimension didactique évidente, sans qu’elle soit gênante. Il s’agit aussi de briser des tabous, d’en finir avec certaines idées reçues et autres aprioris.

Il est ainsi question du génocide tsigane, le samudaripen ou « la mort de tout », des internements, des camps, des 500 000 morts. Nous apprenons ainsi que l’idée du double prénom, hautement stratégique, a vu le jour au moment du recensement de 1912 lorsqu’on a voulu contrôler les déplacements et les faits et gestes des tsiganes et autres gens du voyage.

Tinoir est né sous une bonne étoile, il bénéficie de la protection des 3 fées, Vroitery. C’est entre les buissons et les hérissons qu’il a appris à lire, cela suffit pour comprendre les situations, notamment les « papiers » des klistés, les gendarmes, qui leur inspirent une peur incontrôlable depuis Vichy. Il a épousé la Blanche (Marie), celle qui revient de loin, et compte 7 enfants et 25 petits enfants.

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Au fil des années, il s’est lié d’amitié avec Daniel, l’instit, qui les accompagne au long de leurs pérégrinations et de leurs galères. Avec lui, ils partagent leur crainte des gadjés, leur peur viscérale que leurs enfants leur soient enlevés, leurs angoisses tous les trois mois lorsqu’ils doivent faire viser leurs carnets de voyageurs par les autorités et qu’ils se sentent inévitablement suspects.

Mais leur vie c’est aussi la difficulté d’être sur le goudron tout l’hiver, le froid, le manque de terrain et bien évidemment leur exclusion, cet ostracisme qui cultive indéfiniment leurs douleurs.

« on se traine un passif plus qu’un passé »

Malgré tout, Archange et les siens se se laissent pas abattre même s’il s’agit parfois de touches d’humour désespéré.  Plus que jamais ils croient en Devel (Dieu), mais pratiquent aussi la musique et la poésie tsigane.

Cette poésie transparait d’ailleurs dans les dialogues extrêmement vifs qui allient magie des mots et  réalisme charmant. Le texte, tout comme le dessin, est empreint d’une incroyable humanité. Kkrist Mirror aborde la question manouche sans aucune concession, espérant sans doute, parvenir à modifier le regard de l’Autre. Son trait très fin, au crayon noir, souligne à la fois la dureté de cette vie et cette humanité justement. Ce choix apporte aussi beaucoup d’authenticité, de sobriété et d’élégance à l’album qui se lit comme une invitation au voyage.

« Tu sais ils font l’unanimité contre eux car ils sont l’Humanité ! C’est un peuple pacifique qui vit comme il peut… »

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Voilà donc une sublime découverte que vous aurez envie de partager, je l’espère.

Lecture effectuée dans le cadre de la-bd-de-la-semaine hébergée cette semaine chez Jacques

18 réflexions au sujet de “« Manouches », Kkrist Mirror, Edit° Steinkis, 2016”

  1. Comme cet album semble intéressant !! Je note je note. Et un grand merci pour la découverte. J’espère pouvoir me le procurer rapidement et facilement

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  2. Je confesse avoir quelques soucis idéologiques avec la notion de peuple migrants, au sein de sociétés sédentaires… Je suis pas certain que le mariage puisse se faire. Il y a des objectifs vraiment contradictoires…

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    1. Mauvaise utilisation de mot avec le termes « migrants ».
      Ca laisserait entendre que les syriens doivent rester chez eux, ce qui est à l’opposé de ma pensée.
      C’est « peuples nomades » qu’il faut lire, à la place de « peuples migrants ». Il est encore tôt, je suis pas bien réveillé ^^

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    2. Ce n’est pas faux et l’album évoque d’ailleurs régulièrement cette autre conception de la vie et certaines concessions faites. Du reste ils n’aspirent pas (dans l’album toujours) à mener forcément une vie sédentaire. Il es surtout question du rejet systématique et des peurs qu’ils génèrent chez les autres.

      Aimé par 1 personne

  3. C’est la première fois que je vois ce titre sur les blogs!! et c’est une superbe découverte; tout me plait, je trouve les dessins particulièrement bien réussis. J’espère que ma médiathèque l’aura et en plus tu dis qu’il y a une play liste ça c’est l’idéal pour s’immerger complètement dans la culture.

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