Côté plume

Atelier de Leil (77) : Jeux de mains…


C’est fou comme les semaines passent vite ! Nous voici déjà lundi, le jour de l’atelier de Leiloona du blog Bricabook. Les principes sont toujours les mêmes: une photo, un clic, un texte, un clic.

Au menu de cette semaine un cliché d’Emma Jane Browne !

leil77

Voici ma participation

Jeux de mains…

Me repérer dans les rues de Tokyo n’avait pas été facile. Arriver à l’heure non plus. Et je n’en finissais pas de fulminer et de maudire ce Bob. Comment avait-il pu à ce point sous-estimer mes compétences ? Mon cursus avait toujours été exemplaire. Huit ans d’études en sciences politiques et en journalisme ! Des nuits à bûcher, des jours entiers de sacrifices, un vrai sacerdoce ! Et c’était pour couvrir une compétition internationale de jodo qu’il me mandatait !?! Il m’épuisait à me cantonner dans cette rubrique des sports, me laissant miroiter un nouveau poste à la rubrique des affaires internationales. Si encore j’avais eu à couvrir le tournoi des six nations, j’aurais pu me rincer l’œil, trouver une petite compensation dans la contemplation de tous ces hommes musclés et moulés dans leurs petits shorts. Mais non ! A moi les championnats de cricket, les golfeurs en bermuda prince de galles et les matchs de sepak-takraw ou de pétéca. Du moins avais-je échappé aux sumos ! Une bien maigre consolation…

Assise au premier rang, dans ce dojo inconfortable, je tentais de me remémorer les principes du jodo. Loin d’être une experte en arts martiaux, j’avais écumé internet la veille. Le brouhaha ambiant paralysait mes réminiscences, et mon proche voisin s’escrimait à vouloir me faire la conversation. Il me revenait simplement que le mot jodo signifiait la voie du bâton. Inutile de vous dire que la perspective d’observer des heures durant ces hommes munis de leurs sabres en bois me filait des aigreurs. Rien de glamour dans tout cela. J’avais toujours eu une sainte horreur du moindre kimono. Ce type de duel, trop peu pour moi ! Jeux de mains, jeux de vilains.

Pourtant, depuis plus de 400 ans, les foules se passionnaient pour ce simulacre de sport. Un grand silence se fit lorsque les premiers combattants entrèrent en scène, majestueux. La solennité de leur salut m’impressionna. Les premiers katas aussi. Quelle souplesse ! Quelle précision. Tout en contrôle ! Cela tenait presque de la chorégraphie. Bokken, tachi et jo sillonnaient l’air en toute majesté, tandis que les hakamas et les keigoki se libéraient peu à peu des obis et suivaient avec grâce chacun de leurs mouvements. Beauté du geste et beauté des corps.

Le premier sur la gauche surtout retenait mon attention. Mes yeux ne lâchaient plus ses mains, fines et fortes à la fois. Sans jamais se resserrer totalement sur le jo, elles se contentaient d’exercer une légère pression sur le bois et assuraient la pureté du geste. Elles me fascinaient, tandis que la châleur me gagnait. Leur sensualité était telle que j’en oubliais l’inconfort du lieu. Peu à peu les contours s’effaçaient, mes pensées s’égaraient. Ces mains-promesses m’invitaient dans un ailleurs, un espace-temps éloigné des réalités présentes. Elles m’ouvraient des chemins inconnus et bien des perspectives…

Bien malgré moi, je m’imaginais sur un tatami dans l’une des ces petites nokas au pied du mont Fuji. J’ignorais totalement à quoi pouvait ressembler les bourgades dans ce secteur, mais c’est bien le propre des fantasmes de tisser quelques images d’épinal aux scénarios les plus improbables. En l’occurrence, il s’agissait davantage d’estampes. Sans plus noter les scores, je me laissais aller à mes rêveries, ces mains m’étreignaient, me caressaient, me dévêtaient, me parcouraient, faisaient le tour de mon cœur, de mon corps aussi. Le contact de cette peau, de ces doigts agiles me laissait entrevoir des paysages inédits, des monts et des merveilles, des coulées de lave…

J’eus beau chasser ces images, rappeler mes neurones à l’ordre, ces mains toujours me happaient, me retenaient, me ramenaient à la vie, celle que j’avais sans doute trop négligée toutes ces nuits estudiantines…Mon stylo m’échappa alors des doigts tandis que mes mains avides s’apprêtaient à entrer dans la danse à leur tour, fermement décidées à délivrer ce valeureux combattant de sa keigoki.

20 réflexions au sujet de “Atelier de Leil (77) : Jeux de mains…”

  1. Ah ah ah j’aime bien la tournure que prend ton texte, très percutant au début, on glisse vers un certain bien-être. Le personnage a raison, enlevons-lui délicatement son keigoki ! 😀

    Bien mené, comme d’hab, inutile de rougir, miss … Tu as le feu en toi. Je ne cesserai de le répéter.

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  2. Très très joli et bien mené ! On se laisse emporter par cet art, totalement inconnu pour moi et que j’imagine parfaitement grâce à la description que tu en fais. Et puis la suite de ce récit qui prend une toute autre tournure et nous emmène vers le fantasme. Finalement ce job n’est pas si mal 😉
    Bravo et merci pour cette évasion réussie !

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  3. Moi je dis qu’il est important d’explorer toutes les facettes d’un sport qu’on ne connait pas forcément … quitte à ce que l’athlète lui-même donne de sa personne … non ?

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  4. Je plussoie Manue! !!!…je ne sais pas si le soleil sortait peu à peu des nuages de ma Bretagne, mais moi en tout cas j’avais de plus en plus chaud! !!!
    Déjà au milieu j’ai failli mourir de rire et m étrangler avec ma tartine (oui je sais il n’est pas très tôt! )avec ta phrase « ….du moins j’avais échappé aux Sumos! Une bien maigre consolation. …
    Au passage la première chose que je regarde chez un homme, après avoir dit bonjour on n’est pas des sauvages ,ce sont ses mains. …

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  5. Quel texte, qui nous emmène du rire occidental à la sensualité orientale ! C’est bien ficelé, on ne s’ennuie pas une minute.
    NB J’ai mon billet pour le tournoi des 6 nations, je penserai à toi ce jour-là 😉

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  6. J’ai pris beaucoup de plaisir à te lire Sab, comme d’habitude. La description de la pratique de cet art martial est fine et juste et la seconde partie du texte bien trouvée ! Bravo !

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  7. Superbe texte, j’ai adoré. Drôle, technique, sensuel… que d’ingrédients réunis pour en faire une réussite. Bravo

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