
Entrer dans un roman de Fabrice Caro, alias Fabcaro, c’est toujours se confronter à un univers drolatique et accepter de partager l’expérience de l’absurdité humaine, une expérience que l’on partage d’autant plus que la narration se fait souvent à la première personne.
Notre narrateur, Axel, marié à Anne et père de deux ados, peine quelquefois à bien comprendre le cours de son existence. A peine âgé de 46 ans, il se laisse jusque-là un peu bercer par les événements, sans se poser trop de questions et sans toujours mesurer à quel point le temps passe. Il songe même parfois secrètement à démissionner de la vie et de toute réalité. Il en a presque oublié la lettre d’une certaine Sandrine Cases reçue 30 ans auparavant, sa première lettre personnelle, empreinte d’émotions adolescentes alors qu’ils ne s’étaient rencontrés que la semaine précédente dans un bal de village.
Cette lettre a pourtant conditionné à jamais son rapport au courrier. Pour lui, toute missive reste synonyme de cœur qui bat, de fragments d’extase et de ciels sans fin. Aussi est-il particulièrement chamboulé lorsqu’il reçoit un courrier émanant du programme national de dépistage du cancer colorectal. Aucune trace de baiser-rouge à lèvres ! Plusieurs interrogations ontologiques et métaphysiques s’imposent à lui. Pourquoi lui ? S’agit-il d’une erreur de destinataire ? Est-ce un signe ? Que s’est-il passé entre ces deux lettres ?
S’il tente d’abord de l’oublier, et si l’enveloppe se perd dans les limbes de son bureau qui prend des allures de musée de l’inavouable, il comprend bientôt qu’elle va l’obséder. Elle le confronte d’autant plus au temps qui passe et à la vieillesse à venir, que sa vie fiche un peu le camp, entre le chagrin d’amour de sa fille, les talents de caricaturiste de son fils, et les projets de vacances de sa femme…
Subrepticement, cette invitation au dépistage le bouscule et change sa perception des choses. C’est sous une tout autre perspective que ce quadra à l’imagination galopante se livre à une sorte d’auscultation de sa situation, de ses souvenirs. S’accrochant aux détails, même les plus anodins, il « brode autour du rien, de l’insignifiant pour les autres », ce qui n’est pas sans complexifier ses soucis de communication…
Je n’ai pas résisté au charme de ce personnage décalé, qui se considère souvent peu « Feng-shui » dans cette grande comédie du monde et qui en fait toujours des tonnes. Sa façon, on ne peut plus personnelle d’appréhender l’existence, son ton pince sans-rire, et ses références cinématographiques sont un véritable rafraichissement. Comme chaque fois, le style de Fabrice Caro, entre absurde et héroï-comique, m’a embarquée.