Littérature française

« À tous ceux qui… Journée d’été à la campagne à la fin des années quarante », Noëlle Renaude, Editions théâtrales, 2002


Mon périple au cœur du théâtre contemporain, qui tient parfois de l’odyssée, se poursuit avec la lecture de Noëlle Renaude.

L’idée de cette première pièce est assez séduisante, même s’il s’agit d’un théâtre sans situations, sans intrigue véritable.

Le cadre est celui d’un petit village de campagne après-guerre. Un village français, confronté à la reconstruction, prend la parole à travers les monologues de nombre de ses habitants à l’occasion d’une fête commémorative. La dramaturge croise alors les petites histoires qui se confrontent à la grande. Le texte, qui se présente comme un « carrefour de paroles »,  se fait « tissu de mots et tissu social ». Chacun pense et cherche à panser ses blessures. Certaines relèvent de l’intime, d’autres sont plus directement liées au conflit.

Chaque scène correspond donc à la prise de pensée d’un personnage en particulier. Leur défilé, organisé par rang d’âge, permet de reconstituer peu à peu les familles, de mesurer leurs liens et leurs antagonismes.


Ainsi, c’est la petite Bernadette Blanchet qui du haut de ses 4 ans ouvre ce bal de paroles. Surnommée Baba, elle est vêtue d’une robe ayant appartenu à sa soeur morte cinq ans auparavant, en plein chaos historique, et d’une veste cousue dans une ancienne couverture. Ses souliers ont également chaussé d’autres pieds. Elle se rend à la fête, en compagnie de sa famille.

Sur la place, ils retrouvent tout un personnel endimanché, parfois aviné aussi. Mais « l’humanité vient de faire un pas de geant vers la sérénité retrouvée », cela mérite bien quelques verres sur fond de musique américaine. 

Les festivités sont alors l’occasion de toute une galerie de portraits, hauts en couleurs, des peintures empreintes d’un humour assez noir. La dérision est souvent une arme efficace pour affronter les douleurs.


Les garçons sont rasés à cause des poux, d’autres, comme Yvette, s’efforcent d’oublier qu’elles le furent un jour. Certains portent des stigmates de la guerre, à l’instar d’Hercule en proie à une avitaminose. La jeune Yolande Tatin, elle,  a perdu son père tandis que son oncle a perdu un bras. Gisèle, « la reine du malheur », se souvient qu’on a bien failli la perdre dans la confusion de l’exode alors qu’elle avait déjà résisté à l’épreuve de l’aiguille à tricoter et à l’abandon de sa mère. Le fils Bournachoux déplore que sa mère ait un grain et son père une poule. Mariette, rêve d’un amant tandis qu’Albert voit son rythme masturbatoire s’accélérer dès lors qu’il fait la connaissance de la fiancée de son cousin. Il faut dire que la Gladys ne passe pas inaperçue ! 

Noëlle Renaude varie ainsi les idiolectes et décline les thématiques : l’amour, les absents, ceux qui sont passés par le stalag, ceux qui ne reviendront jamais, les enfants qui ressemblent au voisin, l’héroïsme, la trahison. Elle dit toutes ces vies coupées en plein vol, alors qu’elles avaient parfois 20 ans et que « l’avenir ruisselait » devant elles. Les uns évoquent les autres, les informations se croisent et permettent de reconstruire la vie de ces familles, en soi bien ordinaires, mais emblématiques de toute une France. Entre rancœurs et rivalités amoureuses, le ton monte quelquefois et la rixe générale menace tandis qu’Abel Gloriette, le centenaire de l’étape, médite sur son lit en attendant de quitter ce monde. 

Nombreux semblent ainsi à la croisée des chemins, en ce temps si particulier qui tient à la fois de l’après et de l’avant. 
« Est-ce le début d’un monde ou la fin d’une autre ? »  
L’idée et la démarche sont intéressantes, même si le tout laisse un petit goût d’inabouti.

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