Littérature française

Rentrée littéraire (13), « Le fils de l’homme », Jean-Baptiste Del Amo, Gallimard, 2021


Académique mais magistral !

Le roman s’ouvre sur un prologue énigmatique situé en des temps immémoriaux, primitifs et dans une terre morne, un monde sauvage et bestial. Nous y suivons les pas d’une troupe nomade, une horde d’hommes dont l’existence et le cheminement sont rythmés par les saisons, tandis que les pères initient les fils à l’art de la chasse. 

Ce prologue permet ainsi à Del Amo d’évoquer une humanité brute, originelle.

Le roman, qui se lit comme la chronique d’une tragédie annoncée, construit aussi toute une mythologie de la violence, entre complexe d’Œdipe et ces fantasmes originaires chers à la psychocritique, sur fond d’une nature envahissante et menaçante. 

Alors que l’entame du récit prend l’allure d’un road-trip inquiétant, qu’un vieux break conduit un père au passé douteux, une mère et leur fils vers ce qui va tenir du no mans’ land, on perçoit immédiatement qu’ils roulent vers la catastrophe, même si le père espère pour eux un renouveau, une rédemption…

La narration se construit essentiellement sur le point de vue de cet enfant de 9 ans, perturbé dans son duo avec sa mère, par le retour d’un père après 6 ans d’absence. Sans forcément pouvoir mettre des mots sur ses intuitions, il perçoit combien ce père est rustre, brut même. Ses visions fantastiques des paysages traduisent tout autant ses incompréhensions et ses interrogations que ses peurs. Il observe, il épie, il analyse tout, consigne le moindre détail au fond de sa mémoire. Il a vite le sentiment funeste que Les Roches, cette ferme anachronique et passablement délabrée, tient de la grotte et s’impose comme le théâtre d’un huis clos malsain. Derrière la cicatrice et les mâchoires implacables de ce père dont il n’avait aucun souvenir, il mesure l’instinct brut du chasseur, les blessures qui ont fait de lui cet animal imprévisible. « Il n’y a pas pire qu’un homme blessé ». Alors que ce père semble chercher à compenser le temps perdu, il comprend que cette quête d’une complicité s’inscrit dans un cadre qui dépasse l’art de la chasse, du tir au révolver ou du bricolage. 

Certains détails, lorsqu’il les conjugue avec d’autres, font sens. Il oscille ainsi entre ce présent inquiétant et les bribes du passé. Il revit certaines scènes et réinterprète les paroles échangées tout comme les regards. Entre rivalité jalouse et inquiétude, ses regards vont du père à la mère, cherchant à décoder les secrets et les non-dits. Ils sont nombreux les fantômes du passé qui planent sur cette demeure hantée par la figure tutélaire du grand-père. Les souvenirs du père, cristallisés autour d’un revolver, ne sont qu’un magma de laves profondes.Son regard s’attarde aussi sur le ventre de sa mère, sur cet enfant à venir, cette Faute… Chaque fois il se souvient de cette confidence paternelle :« Un homme ne peut souffrir d’être trahi en amour ». Mais s’agit-il vraiment d’amour ? 

  » J’ai pris sa colère, sa violence et son avidité pour de la passion. Je me suis trompée. »

Souvent, pour échapper à cette atmosphère étouffante, il explore la nature environnante, il apprivoise cette forêt et cette montagne un tantinet effrayantes, il lui semble y découvrir la vérité des choses. Cette vallée, prise en étau, le conduit à comprendre l’emprise du père, sa folie, « le poison transmis aux fils d’une génération à l’autre. »

Le sujet est d’importance, la narration extrêmement bien construite. Des Amo maitrise à la perfection cette mécanique implacable du tragique qu’il conjugue à un certain épisme. Le récit confine ainsi au mythe, entre tradition et modernité, un mythe qui conte cette « éternelle tragédie qui se noue entre les pères et les fils »

Il s’appuie sur un traitement du temps particulier, articulant linéarité tragique et achronie. Ses très longues descriptions, qui envahissent l’essentiel du roman, étirent étrangement ce temps alors même que le lecteur a compris d’emblée qu’on court à la catastrophe…Elles sont efficaces, elles confèrent en outre une poéticité évidente au texte, mais elles peuvent aussi laisser de marbre. La langue est sûre d’elle , un peu trop parfois. Ce goût manifeste de Del Amo pour le mot rare relève à mon sens de la monstration. 




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