
Une bien belle découverte !
Soleil amer, s’ouvre et se clôt sur les ruines de la cité antique de Djemila, cette oasis de pierres située au milieu des Aurès. Maryam et sa petite sœur Sonia aimaient à y vagabonder en cette année 1959, sans percevoir la menace de la tempête de sable. Daniel y renoue avec ses racines quelque décennies plus tard.
Dans l’entre deux, Lilia Hassaine nous plonge au cœur de cette famille qui fait le choix de quitter Wilaya de Sétif pour s’installer en France. Saïd, le père, est parti le premier, heureux d’avoir été sélectionné par l’Etat pour travailler dans une usine automobile. Naja et leurs trois filles le rejoignent quelques années plus tard, juste après la guerre d’indépendance.
« l’Algérie et la France sont deux sœurs empêchées… »
Le récit s’organise alors en décennies et nous conte les désillusions de Naja confrontée aux difficultés de l’immigration et de la pauvreté. Il faut certes parvenir à comprendre ce nouveau monde, ses us et ses coutumes, mais il faut surtout apprendre à composer avec un mari qui n’est plus que l’ombre de lui-même, un époux suffisamment brisé par ses conditions de vie et de travail pour se laisser aller à l’alcoolisme et conséquemment à la violence. Il faudra aussi tenter de préserver ses enfants, de ne pas les perdre complètement dans cet entre-deux.
« A leur arrivée les femmes furent les proies des frustrations de leur mari. »
Lilia Hassaine, à la suite de nombreux autres auteurs, nous livre ainsi son regard sur les douleurs liées au déracinement ou à l’intégration, le racisme qui peut même conduire un homme à refuser une promotion…Elle évoque aussi ces fameuses cités, construites à la va vite, mais presque heureuses à l’origine, qui connaissent un délitement progressif dès lors que la crise financière se fait sentir et que la drogue envahit les squares et les bacs à sable. Elle pose des mots sensibles et justes sur le mal grandissant de toute une jeunesse en mal de repères et d’espoir qui s’adonne à des jeux dangereux et flirtent avec les points de ruptures…
Elle pose également la question de la place des femmes – et des filles – dans ces familles prises entre deux cultures – alors que l’espoir d’une égalité s’accroit depuis 68. Existe-t-il une alternative au mariage arrangé et à la fuite ? Peut-on échapper à la dialectique de la pute et de la soumise ? Au-delà, peut-on se faire une véritable place dans cette société en proie à l’ostracisme ?
» La féminité est une maladie transmissible. On trimballe les tares de nos mères, et on les refile à nos mômes. »
Si ces thématiques ont été largement déployées dans la littérature ces dernières années, elles sont abordées ici avec une forme de discrétion nouvelle. Sans se résigner, et sans rien occulter, Lilia Hassaine parvient à fondre le collectif et ces destins particuliers, ce qui donne une force particulière au roman. Elle s’appuie sur une langue sûre, belle et ciselée, sur des mots qui savent percer l’intime avec délicatesse et justesse. L’espace privé, notamment le salon de Naja et ses allures de gynécée reconstitué, les intériorités, se font alors chambres d’échos exemplaires.
Ce collectif s’incarne d’abord dans ce bâtiment de la cité qui rassemble toute une population cosmopolite cultivant l’art de vivre ensemble. Les plus jeunes partagent leurs jeux tandis que les mères apprennent à se découvrir et à s’épauler. Il s’exprime également à travers les voix de ces bandes de jeunes qui cherchent un sens à leurs existences entre le quartier et le monde de la nuit, ceux aussi qui voient leurs rêves brisés parce qu’il est toujours des prédateurs…
Le collectif c’est aussi ce chœur de femmes très contrasté qui orchestre le récit. Ce roman est en effet très féminin, comme s’il s’agissait de faire le tour des possibles à travers les parcours de Naja, Eve, Maryam, Nour, Sonia, mais aussi Noura, Michèle… Des femmes qui appartiennent parfois à des cultures différentes, mais qui s’aiment, qui se respectent, qui apprennent l’une de l’autre, qui se délectent de chansons d’Enrico, qui comprennent combien leur origine les conditionne à des destins différents. Des femmes qui encaissent les coups durs mais qui cherchent toujours à rester debout, des femmes sans lesquelles tout s’écroulerait.
« Maryam lui racontait les aventures de la chèvre de Monsieur Seguin. Une histoire qui résonnait avec la sienne. Mieux vaut une journée de bonheur qu’une vie entière avec la corde autour du coup. »
L’intime lui se niche dans la famille et pose les questions de la transmission, du lien et de ces secrets que l’on croit cachés sous le lit, mais qui sont comme des bâtons de dynamite…Il se manifeste également dans le parcours de Daniel et Amir, ces jumeaux qui ne se quittent pas, mais qui ignorent qu’ils sont frères.