
Une relecture aujourd’hui de ce « classique », à l’occasion de la découverte de son adaptation DB par Séverine Lambour et Benoit Springer chez Delcourt (2021)
« Je dis les choses comme elles sont, laissant le lecteur ramasser les moralités à mesure que les faits les sèment sur leur chemin. »
Ce court récit s’impose comme un exemplum au service d’une critique de la peine de mort et de la justice qui manque, selon Hugo, d’équité et qui refuse de se poser les bonnes questions.
« Le bagne est un vésicatoire absurde […], la peine de mort une amputation barbare. »
L’homme public rejoint ici l’homme de lettres pour évoquer le vice qui empoisonne le corps social, à savoir la pauvreté et le manque d’instruction. Clamant qu’il se coupe trop de têtes en France, il fustige le monde politique, et notamment les Chambres, qui perdent leur temps en débats stériles autour de la couleur des boutons de la garde nationale au lieu de réformer la pénalité et de promouvoir l’éducation pour tous.
« Payez des maîtres d’école et non des bourreaux »
Il narre ainsi l’histoire de Claude Gueux, le mal nommé, un ouvrier vaillant et courageux installé à Paris , un « ancien gamin des rues » qui s’efforce de mener une vie honnête malgré l’adversité. Hélas, dans les années 1830, la vie se fait plus âpre pour certains. Si la bourgeoisie confirme son ascension, c’est souvent aux dépens de la prolétarisation et de la précarisation des plus faibles. Claude a beau ne pas renâcler à la tâche, vient un hiver rude où le travail manque. Il n’a de plus de quoi subvenir aux besoins de sa maîtresse et de leur fille. Ainsi confronté à la faim et au froid, il se résout à voler de quoi nourrir et chauffer la famille trois jours durant.
Avec un certain fatalisme, il accepte sa condamnation à 5 ans de prison et son incarcération dans la prison de Clairvaux. Il s’emploie même à confectionner avec zèle des chapeaux dans l’atelier de la prison.
Son charisme lui vaut l’écoute et le respect de ses compagnons de galère, au point qu’il intercède souvent auprès d’eux pour prévenir les risques de mutineries et faciliter l’existence du Directeur. Il entretient par ailleurs, une amitié privilégiée avec le jeune et frêle Albin, qui lui offre quotidiennement la moitié de ses rations.
« Claude était devenu l’âme, la loi et l’ordre de l’atelier. Une sortie de pape captif avec ses cardinaux. »
Ce directeur, « pas méchant » mais plutôt « mauvais » est suffisamment tyrannique et imbu de lui-même, pour se comparer à Napoléon. Doté d’une intelligence de cœur et d’esprit étroite alors qu’il est dénué de toute empathie, il ne sait aucun gré à l’aide de Claude. Ses intercessions le conduisent paradoxalement à le détester jalousement.
» Un méchant homme qui jouit de tourmenter. »
Aussi cet homme jubile-t-il bêtement lorsqu’il comprend qu’il peut lui nuire en déplaçant Albin dans d’autres quartiers. Il ignore cependant qu’il écrit ainsi les premières pages d’une tragédie…son hybris n’a d’égale que son entêtement aveugle et son manque d’humanité.
Loin de l’impersonnalité et de l’ironie flaubertiennes, le combat de Victor Hugo s’expose dans chaque phrase et dans cet art des formules binaires et des antithèses.
» Les uns guerissaient ses blessures, les autres dressaient son échafaud. »
Dans le procès criminel qui s’ensuit et qu’il compare à un hippodrome, il offre ses talents d’orateur à ce pauvre Gueux, soulignant combien la loi, incapable de mesurer la provocation morale qui fonde cette affaire, s’aveugle en ne se posant jamais la question du pourquoi, ni celle des circonstances atténuantes.