Littérature étrangère

Rentrée littéraire (10), La Librairie de Téhéran, Marjane Kamali, Hauteville, traduction française 2021



Rien de particulièrement novateur dans ce roman de facture extrêmement classique, tant dans sa construction que dans son sujet. Rien d’une lecture inoubliable, mais un agréable parfum d’Orient qui se laisse goûter.

La narration s’ouvre et se clôt en 2013. Roya, une Iranienne installée aux USA depuis plus de 50 ans, a rendez-vous avec un vieil homme à la maison de retraite de Duxton. Attentionné et toujours très épris malgré les années, Walter, son époux l’y conduit. Il sait combien elle a besoin d’entendre les réponses à certaines questions fondamentales qu’elle se pose depuis la fin de l’été 1953, de connaitre enfin la vérité.

Devenue Américaine, Roya mesure tout ce qu’elle doit à Walter et combien il est un excellent mari. Sans doute un meilleur choix que le garçon rencontré jadis dans une librairie de Téhéran…ce garçon qu’elle a cherché à oublier pour trouver le courage de lui survivre.

Pourtant ce passé l’a subitement rattrapée alors qu’elle achetait bêtement des trombones dans une papeterie de Nouvelle Angleterre. De toute la force de ses 77 ans, elle fait un bond jusqu’en cette année-là. Elle se souvient de Téhéran, du cinéma Métropole, de Clark Gable et Sophia Loren, de toutes ces vedettes aux noms étrangers qui osaient s’échanger des caresses. Embarquée dans un fondu enchainé irrésistible, elle se remémore les moindres détails de cet été de tous les conflits et de ses 17 ans. 

A la vue de Bahman Aslan, si vieux dans son fauteuil roulant, mais encore si beau, elle se souvient de leur amour explosif, de leurs premiers émois, de leurs rencontres secrètes dans la librairie de Monsieur Fahkri, du café Ghanadi, des promesses, des fiançailles, puis de cette disparition, tellement inconcevable, à laquelle il avait pourtant fallu se résoudre. 
Cette librairie, située en face de l’ambassade de russe, s’imposait comme son lieu préféré. Elle répondait à son goût pour les livres et la papeterie, véritable promesse du savoir. Elle en humait les odeurs et y découvrait les grands poètes persans.

Roya coulait alors des heureux aux côtés de sa sœur Zari, dans une famille moderne et éclairée de la moyenne bourgeoisie. Medhi, son père ou Baba, nourrissait de grandes ambitions pour ses filles, qu’il rêvait en scientifiques ou en écrivaines renommées. L’éducation était sa religion, la démocratie son rêve, Modassegh, le premier ministre, un véritable espoir.
Bahman Aslan, lui, avait alors la ferme intention de changer le monde. Issu d’un milieu plus aisé, malgré les origines misérables de sa mère, et très investi politiquement il fait partie de ceux qui rêve d’un Iran libre et démocratique, libéré à la fois du roi et des influences impérialistes étrangères. 

Le récit permet ainsi de faire revivre tout un pan de l’histoire du pays. Si Reza Shah se montre favorable aux femmes et soucieux d’une certaine modernisation, le peuple est toujours pris au piège de sa caste. Son premier ministre, Modassegh, celui qui a osé nationaliser le pétrole, se trouve alors pris en étau entre deux camps qui réclament avec autant de force sa démission. Manifestations, barricades, tracts clandestins et coups d’Etat rythment l’existence de la capitale.

Mais 1953 rime aussi avec réveil artistique et nouvelle intelligentsia. La jeunesse, qui a aussi besoin d’insouciance et de passions, s’enthousiasme pour les grands noms du cinéma et de la littérature étrangère ; elle découvre les chansons américaines et dans sur des valses ou des airs de tango. On s’aime librement ou presque…La vie est exaltante, l’éventail des possibles semble pleinement déployé.

Du haut de son grand âge, Roya se repasse donc le film de son existence. Le temps de quelques semaines, elle oscille constamment entre deux époques, deux continents, deux vies, deux grands amours. Son esprit se fige aussi sur ce rendez-vous manqué un mercredi de 1953, au parc Sepah. Il y eut l’Orient, avec ses paysages, son lot d’épices, de parfums et de plats relevés, autant de jolis mots farsi qui émaillent le texte. Il y eut ce premier amour, intense, aussi passionné que fugitif. Cette rencontre fulgurante et cette impression d’être lié à l’autre par le destin. Cette sensation que la simple présence de Bahman accélérait la vitesse de rotation de la Terre. Etait venu ensuite le temps de la migration et les études dans une université de la baie de San Francisco. Quel dépaysement que cette Californie, « neuve et brillante, comme un jouet tout juste déballé ». Il avait fallu se tisser, maille après maille une autre vie…A Bahman avait succédé Walter, ce sosie de Tintin, qui avait su patiemment fissurer sa carapace et délivrer son cœur barricadé. Ensemble il avait conjugué un amour serein, durable malgré les coups durs. 

Sans doute ne regrette-t-elle rien, même s’il est des vérités difficiles à admettre et possiblement révoltantes.
L’intrigue est bien menée, le jeu sur les époques maîtrisé et les personnages attachants, notamment celui du libraire dont l’histoire terrible nous est aussi contée. Mais, au-delà de cette charmante balade iranienne,  tout cela est très lisse, presque convenu parfois.

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