
Un « anti-manuel » de la parfaite épouse à ne pas manquer !!!!
Sans le bandeau et les mots élogieux d’Amélie Nothomb je serais vraisemblablement passée à côté de ce roman. Le titre m’aurait sans doute semblé trop conventionnel ou prometteur d’une énième histoire d’amour guimauve.
C’eût été vraiment dommage tant ce premier roman est effectivement jubilatoire. Aucune guimauve à l’horizon, mais plutôt un face à face et une autopsie du couple aussi drolatique que touchante ; un roman inventif, surprenant, qui s’attache aux détails insidieux et propose à mon sens une vision renouvelée du mariage et surtout du sentiment amoureux.
« L’amour conjugal est il si peu romanesque que la littérature traite essentiellement des adultères ? »
Rédigé à la première personne, le récit se présente comme un ensemble de considérations d’une épouse sur son mari, son couple et leur amour.
Réincarnation moderne et décalée d’Emma Bovary, la narratrice dresse d’abord un panorama ambigu et paradoxal de son rapport à l’amour. Si elle l’aime toujours « son mari » d’un amour adolescent et anachronique, comme s’il avait été le premier et qu’elle allait mourir demain, si elle vit dans la peur constante de le perdre, elle jalouse les maîtresses, les veuves éplorées et les héroïnes abandonnées. Parce que les unions tranquilles lui semblent sans intérêt, elle a toujours adoré les conflits et la vaisselle brisée, mais comme elle est très théâtrale, il convient que ces grandes scènes soient motivées par un drame existentiel et non par une énième discussion autour des enfants ou du nettoyage de la cuvette des toilettes.
Elle qui souffre d’un puissant désir d’exhaustivité, envie les amours interdites, les passions transgressives et l’amour qui n’est plus partagé et se rêve régulièrement en femme fatale. Se savoir aimée en retour prend en effet des teintes de malheur permanent, tant cela ne saurait suffire à son tempérament fantasque. « Comment ce mari pourrait-il encore remplir ce qui est déjà plein », lui qui semble avoir l’amour aussi plat que serein ?
» Quoi que je fasse, mon mari est ma référence, mon échelle de mesure, mon niveau de la mer. »
La narration s’organise ensuite comme un long monologue intérieur rythmé par les jours de la semaine, une chronique amoureuse qui retrace sa vie de femme, son rapport au couple et la révèle peu à peu. Présent et futur se mêlent adroitement , les souvenirs distillés au fil des pages se confrontent aux rêves, aux désirs profonds, le présent est vécu avec une intensité rare.
Fort jolie quadragénaire, titulaire d’un master consacré aux cheveux blonds dans le cinéma d’Hitchcock, prof d’anglais et traductrice à ses heures perdues, elle mène une vie confortable et bourgeoise, dans une jolie maison des années 30 avec ses deux enfants et son époux, un as de la finance. C’est presque une consécration pour celle que complexe encore une enfance prolétarienne dans l’Est de la France, alors même qu’elle a parfaitement mémorisé le Manuel de la parfaite épouse et celui du savoir-vivre de Nadine de Rothschild. Angoissée du fashion faux pas et soucieuse des apparences, elle n’a de cesse de s’en remettre aux diktats des magazines dont elle consigne les conseils dans des carnets, qu’il s’agisse d’une nouvelle tendance capillaire ou de décoration.
» Dans ma vie le mauvais goût est toujours resté un péril constant. »
Les carnets, qui répondent à un savant code couleurs, sont d’ailleurs légions. Certains, dissimulés dans la bibliothèque, témoignent de son incroyable goût du secret. Quelques-uns sont professionnels. Beaucoup sont consacrés à son mari. Tous lui permettent de donner du sens à ce qu’elle vit. Il faut dire que cette femme est une maniaque de l’organisation et des classifications, une obsédée des chiffres et des détails. Rien n’échappe à sa sagacité ni à son imagination plus que débordante. Toujours aux aguets, elle n’a de cesse d’observer, analyser, déduire, décortiquer les moindres faits, gestes ou sous-entendus. Elle multiplie les rites, les routines et les superstitions, associant par exemple chaque journée à une couleur sans autre fondement que celui de son arc en ciel mental. Le lundi s’offre à elle comme un camaïeu de bleus, et rime avec bonnes résolutions, choix judicieux et décisions raisonnables, sans doute un stigmate de sa passion pour les débuts. Une positivité qui n’a aucune mesure avec le noir des mardis forcément belliqueux. C’est étymologique !
Enfin, celle qui a besoin de toujours garder le contrôle, se plait à jouer avec ses identités et ne recule devant rien pour connaître le climat amoureux de son époux.
Écrit dans une langue à la hauteur de son sujet, savoureuse et moderne, le roman assume aussi de belle manière ses influences littéraires et cinématographiques. Voilà encore un premier roman prometteur !