
On pourrait être tenté de penser, « allez encore un de ces romans qui surfent habilement sur l’actualité et les effets de mode ». La tendance MeToo peut en effet sembler vendeuse, presque suspecte, son approche par un homme, davantage encore.
Eh bien, il n’en est rien, et l’on ne peut que saluer le bel effort de Tanguy Viel, qui ne cède pas à la facilité en optant pour une situation précisément ambiguë qu’il analyse avec beaucoup de justesse et d’intelligence. Il le fait en outre dans une très belle langue, mêlant un certain classicisme – d’autant plus appréciable qu’il se fait rare – à tout un faisceau de références picturales qui ajoutent au plaisir.
Construit en 2 étapes, le récit se déploie sur 130 pages et se déroule dans une petite ville de la côte bretonne dont les murs semblent progressivement se resserrer comme un étau sur les personnages. Tanguy Viel maîtrise en effet à la perfection l’art de l’intensité dramatique.
Ces personnages sont peu nombreux. On croise d’abord Max Le Corre, un ex champion de boxe qui tente de regagner les rings après une longue traversée du désert et qui remercie chaque jour le maire d’avoir facilité sa reconversion comme chauffeur. Max a retrouvé depuis peu sa fille, Laura, une très belle, peut-être même trop belle, jeune femme de 20 ans, généralement indifférente au charme qu’elle exerce. Ex-mannequin, elle a été un jour recrutée à la sortie du lycée par des photographes, véritables prédateurs qui flairaient leurs proies après les cours « comme la fourrière irait capturer des chiens errants ».
Ces deux-là , pourraient donner l’impression « de développer chacun les signes les plus archétypaux du masculin et du féminin. »
Le personnel romanesque se voit complété par un certain Franck Bellec, facilement repérable à ses éternels costumes blancs, un choix vestimentaire qui stigmatise son mauvais goût et son désir peut-être de se refaire une innocence. Ce type peu recommandable, qui fut jadis le manager de Max, s’est en effet vu confier la gestion du casino local. Il est notoirement aidé dans ces tâches, par sa sœur Hélène qui coache les hôtesses, un terme policé lui aussi symptomatique…Ce qui est moins notoire, et qui pourrait relever du secret d’Etat, ce sont ses accointances et ses petits arrangements avec Quentin le Bars, le maire, un homme arrogant et dénué d’empathie, qui nourrit l’ambition de devenir ministre, sans pour autant « cracher » sur les jolies filles – quoi que … –
Il n’y a pas forcément de quoi perturber le calme des mouettes flegmatiques. Chacun suit sa route. Max s’entraine pour son prochain grand défi, son combat contre Costa. Le Maire sillonne la ville dans sa grosse berline noire pilotée par un Max empreint de gratitude. Franck veille sur la roulette et Laura est en quête d’un logement, fermement décidée à se reconstruire, sinon une virginité, du moins une vie plus paisible.
Animé d’une totale confiance en son maire, et soucieux d’aider sa fille, Max l’exhorte à solliciter l’aide de Le Bars. La jeune fille finit par s’exécuter, sans réelle conviction. Même s’il l’accueille avec sympathie, la demande lui pèse. Elle ne sait pourtant pas encore ce qu’il risque de lui en coûter.
» Même le diable n’a pas toujours un costume rouge ni des flammes dans les yeux. »
» Entrée comme une fleur à peine ouverte dans le bureau « , elle est immédiatement perçue comme une « bombe érotique » et se trouve embarquée malgré elle dans « une simple histoire d’organes qui n’auraient pas dû se rencontrer »
Mais toute la difficulté de l’histoire et de la situation, qui constitue l’intérêt fondamental du roman, réside précisément dans cet adjectif, « simple »…ainsi que Laura s’efforce de l’expliquer, avec beaucoup de distance et de lucidité, aux policiers, un tantinet perplexes et perturbés durant son audition.
Son témoignage est-il simple, parce que récurrent, hélas ? Simple parce qu’elle ne s’est jamais refusée et n’a pas crié au viol, c’est donc qu’elle le voulait bien, affaire classée et on n’en parle plus !?! Tellement simple parce que c’est forcément « cette salope qui ne pensait (évidemment) qu’à avaler son sexe ; qui l’a aguiché puis envoûté ? Simple, parce que, si l’on gratte le vernis, la surface, si on évite les aprioris et les jugements hâtifs, si on analyse froidement les faits, il peut apparaitre qu’elle ne fut que la proie d’une « machine aux rouages subtils » ? Simple parce que l’on peut évoquer la corruption sexuelle, l’abus de faiblesse, le trafic d’influence ou le proxénétisme ?
Voilà en tout cas un dépôt de plainte qui fait l’effet d’une bombe et qui embarrasse tout autant les policiers que le procureur ou les politiques…
On ne peut que remercier Tanguy Viel d’apporter ainsi sa pierre à cette longue croisade qu’est celle des femmes, avec autant de finesse et de sobriété.