
Il faisait partie de ceux que j’attendais avec impatience…ce qui n’étonnera pas ceux qui ont l’habitude de me suivre et qui connaissent mon goût pour la littérature mauricienne. Il ne m’a pas déçue !
Avec ce titre Natacha Appanah fait le choix d’une narration courte, mais intense, à la première personne, une personne cependant problématique, tant dans ses douleurs que dans son identité.
Les seuils évoquent Tara confrontée à la perte de son mari, Emmanuel., le seul qui avait le pouvoir de la maintenir debout, « préservée de sa vie d’avant ». Tout s’écroule depuis sa mort. Victime d’hallucinations, elle se « sent sur la crête d’une falaise » entre un présent douloureux et un passé qu’elle avait voulu à jamais enseveli. Elle perd ses mots, ses repères, le sens du temps. Il lui semble que ses journées se déroulent sans elle, dans ce salon tellement en désordre qu’il a des allures de squat.
Elle attend Eli, son beau-fils nouvellement nommé professeur de maths. Peu d’années les séparent, mais elle n’a jamais trop su ce qu’ils représentent l’un pour l’autre. Peut-être ne s’est-elle simplement jamais autorisée à penser qu’il pouvait l’accepter, elle cette étrangère, et l’aimer. Il se soucie pourtant de son état, et c’est précisément ce qui motive sa venue.
Dans cette léthargie inquiétante, son effroyable sentiment de perte se conjugue progressivement aux réminiscences. Le présent se confond avec le passé, l’enfoui. La narration glisse de Tara à Vijaya… de cette bourgade française à un pays asiatique indéterminé. Ce décès, cette vie qui vole à nouveau en éclats, n’est qu’un tsunami de plus. Cette cicatrice encore visible sur l’une de ses cuisses opère comme un stigmate des traumatismes anciens. Elle se souvient de ce chaos, de cette vague géante. Elle se souvient aussi de ce garçon qui la hante encore. Du temps de l’enfance sans entraves, celui de l’avant, de la vie douce qui avait un goût de mangues et de coco. Aya à la cuisine, Roy le borgne au jardin… Une vie où elle allait nu-pieds, entre le jardin et la salle de cours où son père se faisait précepteur. Une vie où elle endossait son sari le jeudi pour le cours de bharatanatyam. Son père croyait encore pouvoir se mêler de politique, tandis que sa mère-sorcière observait la lune et prédisait l’avenir. Elle se remémore ses décombres…
Personne ne l’avait jamais mise en garde contre la difficulté d’être une fille dans ce pays où peut s’exercer une grande violence. Personne ne lui avait dit que l’enfance peut se voir brutalement arrêtée et que l’on peut basculer dans l’horreur en quelques secondes. Même sa mère, ne lui avait rien prédit…
Dans une langue incisive et ciselée, Natacha Appanah aborde avec force la question des traumatismes et de la difficulté à se reconstruire, surtout lorsque le destin s’acharne. Elle nous brosse le portrait de l’une de ces « filles gâchées » qui voient leurs existences volées par la barbarie des hommes et qui comprennent mieux que quiconque la vanité humaine, au-delà de toute détermination à survivre. Finalement, rien ne nous appartient jamais ici…
1 réflexion au sujet de “Rentrée littéraire 2021 (1) : Rien ne t’appartient, Natacha Appanah, Gallimard, 2021”