
Dramaturge contemporain prisé, Philippe Minyana appréhende, comme nombre d’auteurs depuis 1950, le théâtre comme un lieu d’expériences, un laboratoire de l’écriture. Selon lui, le déclic nait souvent d’un simple mot, entendu ou lu çà et là, un mot ensuite incarné dans un corps, disposé dans l’espace, en interaction avec d’autres et qui finit par produire des sons et du sens. Un mot qui finit par devenir étrange, tout comme son théâtre. On serait presque tenté de parodier ses personnages et de s’écrier : « C’est quoi ce bordel ? » » Tes pensées sont extrêmement inconfortables »
Après « Les Rêves de Margaret », Minyana poursuit son cycle consacré aux « épopées intimes » qui s’organise en 5 pièces. Il faut comprendre ces épopées, comme autant de traversées de l’intime, jusque dans les profondeurs des souvenirs – souvent traumatisants – et des rêves.
Le dramaturge joue avec les genres et propose ainsi des petites formes de théâtre-récit qui empruntent notamment à l’univers des contes pour bouleverser les codes de l’écriture dramatique traditionnelle. Les personnages sont rarement annoncés, des propositions incises font office de didascalies et les répliques flirtent avec le dialogue romanesque. La fable n’est pas linéaire et intègre des techniques cinématographiques comme l’insert. La disposition sur la page convoque, elle, davantage le genre poétique, une poésie qui connait cependant un traitement on ne peut plus prosaïque et qui accorde une large place aux onomatopées.
L’intrigue a des allures de road-movie et représente les errances de deux gosses malmenés par l’existence, Tata et Fonfon. Tous deux, entrés en résistance et avides d’évasion, doivent se cacher. Le premier est recherché depuis qu’il a assassiné sa voisine. Le second, longtemps violenté et violé, puis vendu par ses parents à un colosse aux appétits sexuels démesurés, est parvenu à s’échapper. Depuis, il se voit contraint à la mendicité.
» Rien n’est plus extraordinaire que la réalité ! »
Leurs pérégrinations les mènent à travers des paysages contrastés, qui se succèdent parfois à un rythme trépidant. Beaucoup sont moches et désolés et tiennent du locus horribilis, comme cette rivière au noyé dans laquelle ils aperçoivent les bribes d’un corps, cette écurie ensanglantée, ou cette forêt inquiétante qui abrite un vieux gîte.
» c’est le monde tel qu’il est »
Ces lieux empruntent régulièrement au fantastique. La nature est un temple hostile dans lequel on entend des voix. La barbarie est au rendez-vous, même si un hêtre bienveillant s’offre comme un guide.
Ce cheminement est évidemment sources de multiples rencontres. Des bonnes, à l’instar de cette inattendue distributrice de soupe en pleine forêt. Des mauvaises comme ce pédophile qui permet au dramaturge de renouveler la figure de l’ogre. Toutes sont cependant source d’un certain malaise : une mère exténuée jette les restes du corps de sa fille dans une rivière – « la gamine était de trop » – , tandis que Schilling cultive des allures de père suicidaire depuis la mort de son fils. S’ajoutent à cette galerie effrayante une femme en sang, une jeune fille tenue en laisse, un grand type blessé lors d’un vol à la tire, autant d’être « empêchés » , de marginaux en souffrance, ou prompts à faire souffrir…Tout cela a un petit air beckettien, en plus noir assurément.
» L’humanité est éprouvante «
La violence est en effet omniprésente. On s’insulte, on cogne, on baise – et il faut entendre par là qu’on viole) – ; le travail est source de maltraitance. On pleure, on crie, on saigne.
L’humanité est donc tout autant dérangeante que mise à mal. C’est aussi à mon sens, un théâtre de la cruauté. Il est certes toujours difficile de se confronter à cette barbarie à visage humain, mais il n’est pas toujours aisé non plus d’adhérer à ces expériences d’écriture, qui ont le méritent d’explorer, mais aussi le défaut de flirter avec les limites d’une certaine littérarité.