Littérature étrangère

« La salle de bal », Anna Hope, Gallimard, 2019



Ce récit est d’abord celui d’un lieu, l’asile de Sharston, dans le Yorkshire, qui compte 2000 patients et qui a les allures d’une petite ville qui cherche à vivre en autarcie. A l’époque, il ne faut pas grand-chose pour qu’un être, un tantinet marginal ou révolté, soit considéré comme un aliéné et finisse interné. Ce qui les conduit là, se résume souvent à la pauvreté ou à la peur de la pauvreté. Lorsqu’Ella Fay était gosse, c’était même une menace que l’on brandissait pour calmer les enfants désobéissants. Adulte, elle en fait les frais, tout comme Clem, la patiente lettrée qui rêve de pouvoir un jour étudier à l’université. La voilà cloitrée dans un dortoir hanté par un chœur de femmes étranges et par des gardiennes en uniformes, la voilà giflée, attachée et malmenée pour le simple bris d’une vitre à la filature qui l’exploitait depuis ses 8 ans. Il en va de même pour Dan ou pour John, l’Irlandais, désormais contraint de creuser des tombes ou d’aider les paysans du coin, tout en rêvant à sa fuite éventuelle. Anna Hope retrace donc la vie de cet asile, les traitements infligés aux patients, ainsi que les balbutiements d’une psychiatrie moderne incarnée par le Dr Charles Fuller, employé comme auxiliaire médical, qui s’essaie timidement à la musicothérapie. Mélomane et musicien à ses heures perdues, il dirige l’orchestre du personnel et organise tous les vendredis soir des bals réservés à ceux qui ont été sages, qui tiennent debout et qui n’ont pas les mains baladeuses, autant de soirées qui constituent pour beaucoup le seul petit bonheur possible. Mais, partisan de Darwin et hanté par la figure de l’homme supérieur, Charles est également déterminé à créer un monde meilleur. Aussi se laisse-t-il progressivement gagner par la tentation de l’eugénisme et cherche-t-il à plaire à l’Eugenics Education Society. Une politique de stérilisation forcée de ces « dégénérés » devrait empêcher la décadence de la nation.

C’est précisément cette salle de bal, somptueuse, où tout ne semble que calme, luxe et volupté si l’on en croit un article paru dans l’Ilkley Gazette de 1882, qui va réunir les deux héros, Ella et John , pourtant réfractaires. Elle ne sait pas danser, il entretient des souvenirs douloureux avec ce genre de plaisir. Il faut toute l’autorité de Fuller, pour les amener à esquisser quelques pas et espérer devenir plus intimes. 

L’amour est cependant une affaire bien compliquée dans cet univers contraint qui sépare les hommes et les femmes et les offre constamment au regard des surveillants prompts à sévir. 

Le récit oscille alors entre une histoire d’amour aussi poétique que tragique, et la quête insensée d’un médecin apprenti-sorcier qui se défait progressivement de son humanité. L’écriture est sensible, la narration précise et documentée. Je déplore toutefois une fin un peu précipitée…

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