Littérature étrangère

« L’Amour de Phèdre », Sarah Kane, 1996, L’Arche


Une réécriture décapante !!! Ames sensibles, s’abstenir !

Je poursuis mon exploration du théâtre contemporain avec une plongée dans l’univers ô combien perturbant de Sarah Kane, cette dramaturge à la vie écourtée, qui s’est illustrée en proposant à la scène un théâtre de la cruauté, tout aussi provocateur que philosophique. Il interroge sans nul doute sur le spectaculaire, les fondements et les missions du théâtre, mais aussi sur la nature humaine.

S’inscrivant dans les pas de Sénèque et de Racine, elle s’intéresse au mythe de Phèdre, qu’elle transpose dans une royauté contemporaine.

C’est en effet sur un palais royal moderne que s’ouvre le rideau pour nous donner à découvrir un Hippolyte vautré au milieu de paquets de chips et de jeux électroniques alors qu’il s’abrutit devant la télévision. Son linge sale, qui traine symboliquement au sol semble signifier qu’il faudra bientôt le laver en famille. 

Sarah Kane fait le choix de centrer son intrigue autour d’Hippolyte, véritable ado des temps modernes dans ce qu’il peut avoir de pire. Il se délecte de hamburgers et de films américains, se masturbe dans une de ses chaussettes, et trouve dans le sexe, qu’il pratique à outrance avec hommes et femmes, son seul mode d’existence. Désabusé, profondément cynique et provocateur, il assume à lui seule tout un pan de la réflexion philosophique proposée par la pièce. Il incarne en effet la faillite de Dieu, incapable de rendre bon. 

Pour le médecin du palais, bien navré par la situation,  » Il est simplement exécrable. Et par conséquent incurable. » Pour Phèdre, qui brûle toujours pour lui malgré les siècles, il est « difficile. Caractériel, cynique, amer, gras, décadent, gâté. », mais aussi déprimé. 

Phèdre est donc toujours amoureuse, mais si Racine place la passion au cœur de sa tragédie, Sarah Kane, elle, accorde la primauté au sexe dans ce qu’il a de plus brut, de plus trash, et pour certains de plus vil. Ce palais,  » C’est une zone sexuellement sinistrée. »
Elle complexifie également l’intrigue, en démultipliant l’inceste à travers le personnage de Strophe, la fille de Phèdre, née d’une précédente union. Cette famille recomposée, ainsi élargie, lui permet en effet de dupliquer les relations interdites. 
Parmi les autres inventions de Sarah Kane, il convient de mentionner le personnage du prêtre, source d’une réflexion politique sur les nécessaires dignité et responsabilité de la famille royale, mais aussi sur les fondements de la religion. 

L’iconoclastie est donc totale ! Elle est aussi particulièrement spectaculaire !

Le texte bouleverse certains canons. Les didascalies sont imposantes, le langage est familier, parfois foncièrement cru, les images souvent trash. 

 » Pas un homme dans ce pays qui ne vienne vous renifler la chatte et vous choisissez Thésée, homme du peuple, quel branleur « 


On ne compte plus les fellations sur scène, le suicide de Phèdre s’offre aux yeux de tous, tandis que le retour de Thésée et son désir de vengeance, qui passe par le recours à la vindicte populaire, rime avec chaos. C’est un véritable carnage sur le plateau ! Meurtres, viols, sang, martyre d’Hippolyte…la bienséance est mise en pièces, à l’instar de ces parties génitales coupées, elle est offerte aux vautours, tout comme ces corps qui jonchent les planches. 

On peut être tenté de refermer le livre ou de quitter la salle. Pourquoi un tel spectacle ? Pourquoi autant de violence ? On peut se demander où est la beauté de l’art. Etc…

C’est plus qu’iconoclaste oui, mais l’iconoclastie a souvent le mérite de nous inviter à une vraie réflexion, elle est souvent aussi le symptôme d’un malaise sociétal profond. Alors je vous laisserais méditer sur cette dernière réplique d’Hippolyte, qui a le mot de la fin avant d’expirer :


«  Si seulement il avait pu y avoir plus de moments pareils. »

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