BD

« Le monde d’Aïcha », Ugo Bertotti, Futuropolis, 2014



Récit inspiré des impressions de voyage d’Agnès Montanari 

Cet album, inspiré des impressions de voyage de la reporter photographe Agnès Montanari, sillonne le Yémen et s’impose comme une galerie de portraits féminins. En toile de fond, la tentation du fondamentalisme, les mariages arrangés et précoces, le risque de la répudiation et l’univers du patriarcat. 

Aux côtés d’Ugo Bertotti, le lecteur part à la rencontre de Sabiha, Hamedda, Aïcha, Houssen, Ghada, Ouda et Fatin, et derrière elles, de toute yéménite. Si leurs parcours de vie sont contrastés et permettent à l’auteur de dresser un panorama large de la féminité dans ce coin du monde, un élément les réunit, comme un lien indéfectible : le niqab. 

Ainsi que le rappelle initialement un religieux dans ce qui tient lieu de prologue, si l’on peut aisément définir ce qu’est le niqab, ce voile noir qui recouvre entièrement la chevelure et le visage à l’exception des yeux, il est beaucoup plus complexe ou hasardeux de déterminer si son port est obligatoire dans la mesure où le texte sacré ne fournit pas d’indications précises. Pourtant, au moins dans le doute, on conseille à la femme d’évaluer la nécessité de son port par elle-même en fonction de la situation. Le souci c’est que les hommes ont pris l’habitude de les voir couvertes. Si elles veulent vivre dans la sérénité, elles ont forcément le désir de régler leur comportement en conséquence. Ainsi, dans les rues de Sana’a, une ville pourtant construite sur le modèle du corps féminin, les femmes apparaissent-elles comme autant de taches noires et mouvantes. La ministre Hourian Ahmed Mashhour, bien isolée, peine à faire entendre sa voix et la raison à ses concitoyens, y compris à la nouvelle génération tiraillée entre la tentation d’une certaine modernité et le poids des traditions. 

Sans aucun manichéisme, et dans un esprit d’ouverture, l’auteur s’intéresse aux différents rapports entretenus par ces femmes avec ce niqab. Si Aïcha le porte pour avoir la paix avec son frère, Hamedda, elle, a fait le choix de vivre sans, tandis que Ghada, archéologue de son état, aurait la tentation de s’en revêtir pour se sentir comme les autres. Houssen, Ouda, la prof d’anglais divorcée, Fatin, l’adoptent presque par condescendance. Après tout, si cela suffit à rassurer les hommes…Pour beaucoup, à l’instar d’Hamedda qui s’est battue pour développer son activité de restauratrice, il importe plus aux femmes yéménites d’avoir encore la liberté de travailler, d’enseigner de faire de la politique que de se débarrasser du niqab.  Elles ont définitivement intégré que la séduction, la coquetterie appartiennent à l’espace intime. 

Mais la situation est souvent plus complexe, en province ou dans les villages plus reculés, pour celles qui n’ont jamais eu accès à la scolarité et qui se sont vues mariées avant même leur puberté, ainsi qu’en témoigne l’histoire tragique de Sabiha, 
qui s’autorisait parfois à se pencher à sa fenêtre le visage nu.

Au-delà du voile, l’album pose aussi les questions épineuses du mariage, des grossesses précoces, de la violence, de l’autoritarisme des belles-mères et de la représentation sexuée des tâches. Il évoque également le fléau du kat et autres stupéfiants qui anesthésie la raison masculine lorsqu’ils ont déposé les armes et qu’ils s’accordent un repos entre deux conflits tribaux.

L’album, qui tient du documentaire, est peu bavard, convaincu qu’on en dit parfois plus par le dessin que par la parole. Ugo Bertotti opte pour un dessin en noir et blanc à l’image de l’existence de Sabiha, mais aussi du niqab. Le trait, assez épais, ne s’attarde guère sur les détails, au point que les personnages se voient souvent réduits à de simples silhouettes qui se fondent dans des cases extrêmement sombres, qui alternent avec quelques reproductions de photographies. 

Je n’ai pas apprécié le graphisme, qui m’a semblé lourd et sombre, et je dois avouer que si le propos est intéressant, d’autres l’ont abordé plus subtilement. 

Lecture effectuée dans le cadre de

hébergée cette semaine chez Noukette





19 réflexions au sujet de “« Le monde d’Aïcha », Ugo Bertotti, Futuropolis, 2014”

  1. J’ai beaucoup aimé ce livre lu il y a un certains temps déjà et je t’avoue que le graphisme s’est totalement retrouvé projeté en arrière plan face à la gravité du thème abordé !

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