Je suis une inconditionnelle de Léonor de Récondo dont le talent s’affirme au fil de ses publications. J’ai pourtant hésité à me lancer dans cette lecture en raison de son caractère autobiographique. Je suis un peu lasse de ces récits dans lesquels les auteurs retracent la mort de leurs proches et l’expérience du deuil. C’eût été une erreur pourtant de passer à côté de ce beau texte qui revisite le genre.
Le récit, consacré à son père, mort en 2015, s’ouvre sur une nuit difficile. Accompagnée de sa mère Cécile, Léonor se rend en catastrophe au chevet de Félix dont l’état s’est subitement aggravé suite à une intervention chirurgicale. C’est une épreuve certes, mais son père, elles l’ont perdu depuis un moment déjà, puisqu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer…Elle évoque cette lente agonie et cette nuit qui n’en finit pas avec une grande pudeur, s’attardant aussi sur le milieu hospitalier. Elle rapporte ses échanges avec sa mère, leurs songes mais elle s’adresse aussi à son père, qui ne l’entend plus.
Mais la grande originalité de ce récit réside dans les conversations qu’elle prête à son père, alors dans le coma. Elle imagine ses derniers échanges avec son vieil ami Hemingway alors qu’ils partagent tous deux un banc virtuel. Malgré leur grande différence d’âge, ils ont partagé un bout de cette Espagne, ce pays basque qui a vu naître Félix et qui fut aussi une terre de prédilection pour l’écrivain. Tous deux se souviennent de la beauté des paysages et des femmes, de la fraîcheur d’un verre ou d’un cours d’eau et ils communient dans le goût du beau, de la poésie et du bonheur simple. Les sujets sont multiples, les tons aussi. Il est question de la guerre, de l’activisme, de « Gernika », de la langue basque, des landes, de l’exil en France et du déracinement, de la haine et de la peur de l’autre mais aussi de la jeunesse, ce temps où tous les rêves sont permis…C’est l’occasion pour le lecteur de se souvenir de « Rêves oubliés » publié par l’auteur en 2012. Le charme des instants lyriques et des souvenirs heureux, les anecdotes croustillantes, alternent avec les épisodes plus douloureux dont les plaies ne se referment jamais.
Enfin ce récit dit aussi ce lien indéfectible qui unit Félix et Léonor et qui s’est construit notamment à travers la sculpture et la musique. Magnifique message d’amour s’il en est ! L’écriture est fine, sensible, ciselée. L’auteur vise juste, entre description presque clinique et poésie des lieux… et nous offre un petit bijou.
Un petit extrait à propos d’Alzheimer …
« Quand les mots se sont dispersés entre nous, que les tiens et les miens ne se rencontraient plus qu’en de très rares occasions, les gestes s’en sont mêlés. Ils sont entrés dans la ronde. Moins je te parlais, plus je te touchais, je te prenais dans mes bras en te disant que je t’aimais, persuadée que, si tu ne comprenais pas la phrase, tu la sentirais. Les gestes ont envahi nos espaces, ils étaient une foule. »