Une nouvelle fois, les Éditions Wespieser m’ont réservé un coup de cœur !
Le roman s’ouvre sur la description d’un lieu que j’ai beaucoup fréquenté, le terminal 2E de l’aéroport de Roissy. A l’aide de phrases courtes, souvent non verbales, la narratrice, une femme dont on ne sait rien, en saisit l’ambiance quotidienne. Elle observe, s’accroche à des détails, invente des vies aux usagers, aux employés. Elle imagine des circonstances, des sensations et des émotions. Ce lieu, elle semble le hanter à longueur de journée. Elle y déambule avec précaution. Elle s’arrête pour discuter, s’imagine des voyages aussi, ou des départs qui n’ont jamais lieu.
» Parfois, je me dis que j’aimerais rester ici toute ma vie. Partout ailleurs, le monde me fait si peur. Je ne suis plus comme eux. L’ai-je jamais été ? Il y a un tel désordre en moi. »
Accidentée de la vie, amnésique, victime de maux de têtes effroyables, elle cherche ainsi à combler ce trou en elle, ou plus exactement à l’oublier, luttant parfois contre les bribes de souvenirs qui tentent de s’imposer à elle. Ainsi, elle n’est plus qu’une ombre en transit, échouée parmi d’autres oubliés de la vie, Vlad, Josias, Liam, qui s’inventent ici hors la violence du monde. Elle leur prête aussi sa vie et nous permet de découvrir un Roissy underground poignant.
» J’ai 300 noms, autant de vies que je le désire, pourquoi m’entêter à revenir au pire ? «
Depuis 8 ans qu’elle a finalement élu domicile dans cet aéroport, elle organise sa vie autour de rituels et porte sur son environnement » une sensibilité rare aux choses de ce monde », ce qui confère au roman une magnifique humanité. Enfermée dans son non-être, elle lutte malgré elle contre une mémoire peut-être trop douloureuse. La peur de la culpabilité, tissée à une crainte de l’autre, font d’elle un oiseau blessé alors qu’il suffirait peut-être d’un petit rien, d’un homme au foulard devant l’arrivée du vol de Rio pour qu’elle puisse renaître de ses cendres.