Littérature étrangère, Littérature française

« Les exilés meurent d’amour aussi », Abnousse Shalmani, Grasset 2018


J’ai peu abordé la rentrée littéraire cette année, sans doute parce que j’ai franchement été déçue par mes lectures de la rentrée dernière. Si je me suis tournée vers Abnousse Shalmani, que je ne connaissais pas, c’est sans doute à cause de ce titre empreint de poésie et d’humanité.
Je n’ai pas du tout regretté mon choix, même s’il est assez difficile de chroniquer un roman aussi foisonnant, qui mêle la thématique de l’exil à la saga quasiment mythique d’une famille pour le moins hors norme.

Le récit s’ouvre sur un vol d’air France avec à son bord des Iraniens contraints de fuir leurs racines. Royalistes et communistes révolutionnaires s’y côtoient, ainsi que la famille de la jeune Shirin, Cette dernière, qui a déjà l’esprit vif et le regard acéré, observe tout cela du haut de ses huit ans.
Avec Niloophar la mère, enceinte de son Petit frère et Siamak, son père, elle retrouve ses tantes déjà exilées, Mitra, tala et Zizi, toutes artistes ou presque, ainsi que le grand-père Mahmoud, opiomane notoire. Très vite, la cohabitation de ces individualités très marquées dans un logement exigu s’avère problématique.

 » L’exil, c’est d’abord ça : un espace confiné, entouré d’un monde inconnu et vaste, et d’autant plus inaccessible qu’il paraît impossible de s’échapper de la cage où s’amassent les restes misérables du pays natal.  »

Délaissée par les adultes , tout autant absorbés par les questions de survie dans un pays étranger que par leurs querelles intestines, Shirin vit sous le canapé, les observe, prend des notes. Elle comprend que Zizi peine à s’avouer son amour pour les femmes, et notamment sa sœur. Elle mesure combien Mitra règne en maître sur ce petit monde et risque de s’avérer une intello malfaisante, combien Tala incarne la sensualité mais aussi une menace, et combien Amir, tient tout le monde en respect. Elle dit aussi son amour et son admiration pour sa mère, la bricoleuse, l’alchimiste, celle qui se voue constamment aux autres pour ne récolter que leur mépris.

Non sans une pointe de dérision, elle ausculte le quotidien de cette prison familiale et finit par se promettre qu’un jour elle sera écrivain, pour déterrer tous ces non-dits.

« je le ferais en écrivant des livres, et révèlerais toute la poussière qui s’accumule sous le tapis des familles »

Le récit est émaillé de nombreux portraits au vitriol et d’anecdotes inouïes qui font de l’histoire familiale une formidable épopée, au sens étymologique de l’adjectif.

Abnousse Shalmani aborde bien évidemment la question de l’exil, de la difficulté à s’adapter, à se reconstruire une existence, mais elle dit aussi son le goût pour la langue du pays d’adoption. Au-delà, elle pose aussi un regard incisif sur le militantisme, les idéaux et les soifs de révolution qui masquent quelquefois des motivations plus sombres, plus floues,

« Comme tous les exilés j’apprenais le français avec acharnement. Je cherchais les mots dans le dictionnaire, je fouillais les phrases à la recherche d’une familiarité et rien ne me faisait davantage plaisir que de reconnaitre au moins un mot dans une obscure définition. C’est la raison pour laquelle la majorité des exilés parlent un français anachronique… »

Mais ce récit est aussi un roman de l’éveil, entre son amour pour Omir, l’amoureux de la tante Tala, sa découverte progressive du passé familial, et son passage à l’âge adulte.

 » L’exil fait cela aussi : il tué la filiation, il renverse le rapport de force. »

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C’est une lecture très riche, presque trop parfois, qui interroge l’humain dans tous ses retranchements. La langue, précise, ciselée, percutante, passe outre les tabous comme pour mieux aider la narratrice à s’émanciper définitivement du poids du JANAM.

2 réflexions au sujet de “« Les exilés meurent d’amour aussi », Abnousse Shalmani, Grasset 2018”

  1. J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir

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  2. Très tentant ! Je ne me suis pas penchée sur la rentrée littéraire l’année dernière. Par contre cette année, hormis une déception, j’ai déjà deux perles à mon actif et une qui promet de grands bouleversements et que je débuterai demain !

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