Alors que je sillonne actuellement les rues de Paris par un temps hivernal et que je ne peux que déplorer le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants qui dorment dans le rue sur des matelas de fortune, la lecture de ce premier roman de Pascal Manoukian ne pouvait que me toucher, me révolter aussi.
Le récit s’ouvre sur la France du début des années 90 et évoque la difficile question de l’immigration et des clandestins, ces candidats à l’exil et à une vie meilleure. Moldave, Virgil a quitté son petit village de Torjeuci, laissant derrière lui son épouse Daria et leurs trois fils pour un temps. Sans nul doute, une fois gagné l’Eldorado, il pourra bientôt les faire venir aussi. Maçon, il mène une vie difficile depuis trop longtemps. Il a d’abord fallu survivre au communisme, puis oublier l’espoir que la chute du bloc de l’Est avait fait naître. Le rideau était vite retombé sur les promesses d’une embellie ! Dur au mal et à la vie, il veut y croire coûte que coûte…ne pas se laisser abattre, résister, même s’il doit pour cela vivre tapi dans un trou au sein de la forêt de Senart et rivaliser avec les chiens galeux.
Loin de là, en Somalie, Assan affronte un pays en guerre, la terreur d’Etat, les pilleurs. Une partie des êtres qui lui sont chers ont péri sur cette terre de désolation où la barbarie humaine tue davantage encore que la sécheresse et la famine et où la religion, le Dieu en lequel il croyait n’ont plus de sens. Devant la multiplication de ces enfants-soldats, le sort réservé aux femmes et l’impossible survie, il aspire avant tout à sauver Iman, sa fille qu’il n’a pas pu protéger de l’excision. De la même façon qu’il signe son solde de tout compte à Dieu, il quitte Mogadiscio
Chanchal, le jeune Bangladais, né pour en suer, désigné pour l’exil par son prénom même, survit en France depuis 2 ans. Vendeur de roses dans les restaurants, il affronte quotidiennement la solitude, l’indifférence, les nuits passées dans les cartons ou les lavabos des stations-service.
Ces êtres n’avaient à priori aucune raison de se connaître, ils auraient pu ne jamais se croiser s’ils n’avaient pas un jour rêvé de cette France terre d’asile, terre d’accueil, ce pays des droits de l’homme…qui, rappelons-le, s’est beaucoup construit sur l’immigration au XX°.
Pascal Manoukian nous brosse le portrait et le parcours de ces 4 êtres, emblématiques bien sûr des candidats à l’exil qui se bousculent par légions aux portes de l’Europe. Il s’agit d’évoquer leurs difficiles conditions de survie souvent à la limite de l’humain, mais aussi de dénoncer tous ceux qui les considèrent comme une manne, qui spéculent dans cesse sur le malheur et la misère humaine. La liste est longue hélas, et ne se cantonne pas aux passeurs et autres marchands de sommeil. A ceux qui seraient tentés de penser que ces réfugiés ont la vie facile, qu’ils préfèrent tendre une main mendiante plutôt que d’aller bosser, l’auteur rappelle leur lutte constante pour conserver leurs dents, pour se protéger du froid, des violences, leur renoncement au moindre confort, à la propreté, à l’estime de soi, l’acceptation d’un esclavage qui ne dit pas son nom dans un pays fier de ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
« L’obscurité, c’est la première chose à laquelle doit s’habituer un clandestin : vivre loin des lumières, dans la pénombre, à la marge, en arrière-plan. Ne jamais attirer l’attention pour ne jamais s’attirer les ennuis. »
La langue de Manoukian est belle, ciselée, toujours à la recherche du mot juste pour décrire la situation sans concession. Il porte un regard incisif sur nos sociétés et nous offre une belle leçon d’humanité à travers les liens qu’entretiennent ces êtres, à travers leur capacité à partager le peu qu’ils ont même quand le désespoir est criant.
Un titre dont je garde un souvenir très fort…
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Oui cet auteur a le don de nous ébranler.
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