Côté plume

Atelier de Leil (85) : Envolons nous !


Qu’est-ce qui rime avec lundi ? L’atelier d’écriture de Leiloona du blog Bricabook.

La photo de cette semaine invite au voyage …


@ Leiloona

Voici ma participation

Envolons nous !

Il nait parfois de belles histoires du hasard, surtout lorsque des airs de tango argentin s’en mêlent …

Son impatience est palpable, et c’est à cela qu’elle songe, son bagage cabine à la main. Ce tarmac, cet avion au sol, cette attente, la replongent dans cet heureux temps de la rencontre. Lorsqu’ils avaient si faim l’un de l’autre que le temps ne comptait plus, ou comptait trop. Lorsque les frontières n’existaient pas. Dans l’immédiat, elle se sent comme cette carlingue au sol, cet albatros vil et veule à terre, mais si majestueux dans sa danse de nuées.

Les hommes d’équipage s’affairent, fourrent ses flancs de bagages et de kérosène. On procède aux dernières vérifications. Quelques heures encore et elle lui fera face. Quelques heures encore et elle pourra s’abreuver à son regard, le décrypter. Quelques heures encore et sa bouche étanchera cette soif qui la tient depuis de longues semaines.
Elle se contraint à ralentir le pas pour atténuer, contenir ce bouillonnement. Et si elle savourait l’attente, elle l’Impétueuse ? !

Sa ceinture bouclée, elle songe que l’espace est étroit, l’inconfort assuré. L’avion est bondé en cette mi-décembre, le brouhaha ne cesse de s’amplifier. Les hôtesses s’affairent, les gosses s’agitent et personne n’écoute, bien évidemment, les consignes de sécurité. Elle ajuste son casque anti-bruit, programme la lecture aléatoire de l’album de Noa, et cherche à se soustraire à l’ambiance étouffante de l’habitacle.

Portée par cette voix, elle songe à leur rencontre hasardeuse. Un mail qu’elle aurait pu jeter à la corbeille sans le lire. Un pseudo amusant, un Alpha qui augurait un beau début, ouvrait bien des possibles, un Tango aux allures de jolie comète prête à s’inviter dans son jardin scandinave sur un air de bandonéons ! Elle se remémore leurs premiers échanges que rien ne laissait présager. Pilote à ses heures perdues, il se croyait aérien et cette légèreté lui faisait du bien. Ancrée sur la terre ferme, elle jonglait avec ses déceptions et ses obligations, loin de cette insoutenable légèreté de l’être. Il déclinait l’entropie, elle conjuguait l’austérité. L’amour, elle n’y songeait plus. Elle avait largement dépassé la date de péremption. A quoi bon ? Beaucoup de bruit pour rien. « L’amour et la mer ont l’amer pour partage » ! Il se savait mal dans sa vie, elle se croyait bien dans la sienne. Pourquoi avait-elle donc pris le temps de lui répondre ? Un élan hasardeux ? L’appel du tango ? Son humour séducteur ? Tout ce qu’elle lisait entre les lignes et les mots ?

Plutôt ce je ne sais quoi, d’abord indéfinissable qui avait progressivement laissé son empreinte. Le plaisir d’être ensemble, de sentir sa peau mieux respirer contre celle de l’autre. Il avait su faire tomber son armure, elle avait senti qu’elle s’infiltrait dans l’une de ses lézardes… Le reste était alchimie, une histoire de bonne personne au bon endroit et au bon moment. Leur capacité à se décrypter, leurs points de rencontre les rapprochaient sans cesse le temps d’une chanson « angiesque » ou d’un verre d’Aloxe-Corton. Il y en avait eu des nuits étoilées, des bains de lune et des salades de poivrons! Il pansait ses blessures, elle pensait les crevasses de sa drôle de vie qu’il tentait de dissimuler, elle entendait les mots qu’il voulait taire. Diablement attachant il aspirait à l’attacher, surtout lorsqu’il sentait qu’elle avait si peur qu’elle aurait pu songer à s’échapper. Alors il lui racontait son aéronef, il lui inventait des voyages qu’ils feraient peut-être, qu’ils feraient sûrement…

Les lumières intérieures s’éteignent. L’agitation s’estompe. L’avion roule en direction de la piste. Bientôt il s’élancera, léger, véritable miracle de technologie. Le dos calé contre son siège, elle, elle déroule ses états d’âme. Elle se demande si leurs moments de grâce appartiennent au passé. S’il reste des pages à écrire. Depuis qu’ils subissent la contrainte des océans, qu’ils cultivent des rives éloignées, les doutes parfois s’immiscent. Elle s’accroche pourtant, s’efforce de se laisser porter par les alizés. Les possibles vents contraires l’effraient. L’éloignement est frustration, il ouvre la brèche aux non-dits, aux mots qu’on voudrait entendre mais qui ne viennent pas, à ceux qu’on interprète au-delà de leurs intentions… Elle pourrait croire que …Elle aurait pu décider de ….Elle aurait pu choisir de suivre sa seule trajectoire, comme une échappée belle…la situation est compliquée pour ces deux éclopés qu’ils sont, chacun à la croisée des chemins. Bonheur or not ? Assez, ou encore ?

Tandis que l’Airbus entame sa course folle porté par les vents, elle ferme les yeux et s’exhorte à lâcher prise. Demain, ils s’envoleront ensemble et les Rolling Stones lui susurrent qu’il nait quelquefois du hasard de jolies histoires.

A TOI …

7 réflexions au sujet de “Atelier de Leil (85) : Envolons nous !”

  1. Alors là Sabine ! J’ai l’impression que c’est l’un de tes plus beaux textes écrits pour l’atelier ! Je me suis laissée porter par ton histoire, tes mots savoureux, divinement bien choisis et agencés et j’ai très envie d’une suite ! ta phrase « S’il reste des pages à écrire. » et la photo de la semaine t’ouvrent une porte pour nous dire comment s’est passé cette rencontre si attendue par ces 2 éclopés de la vie qui semblent faits pour se rencontrer ici bas ! Sincèrement bravo ! clap clap clap ! Encore ! encore ! Encore !

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    1. Merci Nady pour ces mots qui mevont droit au coeur. Pour ce qui est de tes questions, je serai dans l’airbus ce soir….on verra comment s’écriront les pages !

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      1. J’ai guetté rapidement les blogs à l’instant et n’ai pas vu le tien… A quand le Wifi dans les airbus 😉 passe de belles fêtes de fin d ‘année Sabine et je ne désespère pas d’voir une suite un jour, j’adore ce thème 😉

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  2. Yes, je suis embarquée, je veux relever des mots, des expressions, et au final, je le prends en entier ton texte, il dit tellement bien l’amour … Merci pour cette belle lecture.

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