Cinéma étranger, Petits bonheurs

Master class sur le cinéma engagé du Mozambique et découverte de Licinio Azevedo


Dans le cadre du festival Iles Courts, j’ai pu suivre ce vendredi une master class passionnante  sur le cinéma engagé du Mozambique, animée par Licinio Azevedo qui se proposait de nous conter à la fois l’histoire du cinéma mozambicain et son propre parcours. Il s’agissait d’une découverte, comme beaucoup d’entre vous je n’avais aucune idée de l’existence ni du dynamisme de ce cinéma fort peu distribué sur nos écrans.

Découvrons l’homme ….

Licinio a entamé l’après-midi en ancrant son parcours dans une réalité brésilienne difficile. Né à Porto Allègre, il a initialement suivi une formation de journaliste. Bravant une censure concernant notamment les informations liées aux luttes anticoloniales des ex colonies portugaises comme l’Angola, le Cap Vert, la Guinée Bissau ou le Mozambique, il s’opposait aussi à la dictature militaire en place. Les journaux brésiliens de l’époque, influencés par un journalisme nord-américain, faisaient montre d’un engagement social considérable.

Marqué par les écrits de John Reed, de Truman Capote ou de Gabriel Garcia Marquez, Licinio sillonna l’Amérique Latine, réalisant des reportages sur les juntes militaires, la montée des oppositions, mais aussi les problèmes sociaux, qui mêlaient les informations à une approche plus littéraire. Il s’agissait pour lui de sortir du cadre du simple article pour transcrire réalité et vérité dans des histoires plus à même de marquer les esprits.

L’homme et le Mozambique …

Parallèlement, le Mozambique gagne son indépendance le 29 juin 1975 et devient la République Populaire du Mozambique, un régime communiste. Le parti au pouvoir n’est autre que le FRELIMO qui compte à sa tête un certain Samora Machel.

Après un séjour en Guinée Bissau où il assura la formation de journalistes et se livra à des études de la situation de ce pays nouveau qu’il transcrit dans ce qu’il nomme des contes publiés en deux tomes, Licinio gagne le Mozambique animé du désir de procéder de la même façon au cinéma.

Il s’installe à Maputo alors que Samora Machel, visionnaire, mise beaucoup sur la culture et instaure l’Institut National du Cinéma. Selon lui, un pays sans image est un pays sans mémoire. Il appréhende le cinéma comme un instrument d’éducation, un outil idéologique susceptible de favoriser la construction d’une identité mozambicaine. La production consiste alors essentiellement en documentaires, un choix qui répond au manque de ressources techniques, mais aussi au désir d’un cinéma instrument. En attendant la création de la télévision  en 1980, c’est en effet le cinéma qui s’impose comme un vecteur d’information et d’éducation à la santé par exemple. L’effort de production est énorme pour un pays naissant. Elle prend essentiellement la forme d’un journal en noir et blanc, filmé en 16 mm, projeté dans une dizaine de  salles, mais diffusé aussi dans les campagnes grâce aux 35 voitures équipées pour la projection qui sillonnent les régions moins urbaines et plus reculées. La facture en est très classique, notamment avec le recours à une voix off pour la narration. À cela s’ajoute des films de solidarité aux autres pays évoquant par exemple l’indépendance du Zimbabwe.

Licinio participe alors à cet essor comme écrivain et romancier, toujours soucieux de conjuguer un style narratif à une approche plus créative. Il a pour mission de parcourir les zones libérées éloignées, ce qui lui donne l’opportunité de comprendre le pays de l’intérieur. Son travail se porte alors sur l’Afrique révolutionnaires, les fermes communautaires ou les coopératives agricoles. La période est alors propice à l’enthousiasme des intellectuels et des artistes mozambicains qui profitent aussi de la venue et de l’expérience de personnalités étrangères comme Godard (qui a introduit l’usage de la caméra vidéo dans le pays) , Rouch ou Ruy Guerra.  On forme des techniciens, on multiplie les salles et les séminaires…Et même si l’INC  se présente comme un espace relativement démocratique, selon Licinio, il reste est un organisme d’État animé de convictions idéologiques évidentes laissant peu de place à une création libre ou  individuelle.

Le récit de son cheminement, émaillé d’anecdotes drôles, croustillantes ou parfois plus inquiétantes ne sont pas pour déplaire au public. Comment ne pas sourire lorsqu’il évoque la bureaucratie du pays, et ces fonctionnaires qui lui demande ses papiers mais aussi ceux de sa vieille Olivetti qu’il traîne partout avec lui ?

Son cheminement vers le cinéma…

Son passage du journalisme au cinéma se fait ensuite assez naturellement. Certains de ses écrits adaptés en BD, en émissions de radio et même en long métrage, l‘incitent à passer outre l’absence de toute formation technique et à se lancer plus nettement dans cet univers en tant que scénariste d’abord, puis en tant que réalisateur. Toujours animé par son engagement social, il passe derrière la caméra alors que l’INC n’est plus. Dans le contexte d’une guerre civile dévastatrice, les salles ont fermé en masse, les locaux de l’INC ont brûlé, les moyens manquent et les communications par voie terrestre sont compliqués.  La production se limite à des vidéos éducatives…. Le Cabinet National de Communication Sociale voit le jour, et prend le relais de l’INC. Il s’agit toujours d’une institution d’État, mais les réalisateurs y trouvent un plus grand espace de liberté créative. On y explore de nouvelles voies, on intègre une part de fiction dans les documentaires pour les rendre plus communicatifs, sans oublier pour autant les vertus éducatives de l’art. À titre d’exemple on peut mentionner un film muet sur le bon usage de l’eau pour contourner le problème des langues.

Aujourd’hui ….

La politique et les questions économiques ont contribué au désengagement de l’État. Le cinéma mozambicain reste dynamique dans le contexte d’une production indépendante mais doit œuvrer à son financement en recourant notamment à des fonds européens. La génération de la résistance, avec des réalisateurs de la trempe de Licinio, encadre les plus jeunes et la collaboration internationale leur permet d’exister.. Les thématiques, tournées vers les réalités du pays, évoluent aussi. Les films à budget abordent la question de la guerre, de la reconstruction, des réfugiés. Ils prennent davantage la forme de fictions engagées en langues locales sous-titrées en portugais.  À défaut d’acteurs professionnels, on fait appel à la population, ce qui donne à ce cinéma des accents de vérité.

Ainsi que le souligne Licinio, la réalité constitue le fondement de ce cinéma qui ne s’interdit pas pour autant l’onirisme ou la spiritualité. Rien d’étonnant dans un pays où la magie et les croyances ancestrales sont encore très prégnantes. Un documentaire ou une fiction peut naître d’un semble entrefilet dans un journal, un fait divers en apparence banal derrière lequel se cache potentiellement une tragédie ou une histoire bien plus complexe. La filmographie de Licinio, et les détails ou anecdotes qu’il nous a révélés cet après-midi le laissent clairement entendre.

Mais cela fera l’objet d’un second billet dans les jours à venir…Gardons simplement à l’esprit ses derniers mots « La réalité dépasse souvent la fiction ».

 

1 réflexion au sujet de “Master class sur le cinéma engagé du Mozambique et découverte de Licinio Azevedo”

  1. beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte. un blog très intéressant. je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon blog. au plaisir

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