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« Là où se termine la terre, Chili 1948-1970 », Désirée et Alain Frappier, Steinkis 2017


Comme le Chili fait aussi partie de mes destinations potentielles pour les 5 prochaines années, mon chemin a croisé celui de ce roman graphique de Désirée et Alain Frappier. Elle est écrivain et journaliste, il est illustrateur. Tous deux s’intéressaient depuis longtemps à l’Amérique du Sud, et c’est une rencontre fortuite avec Pedro Atias, réfugié en France, qui les mène finalement à Santiago.

C’est d’abord une belle épigraphe de Patricio Guzman qui ouvre cet album en noir et blanc.

« A cette époque-là, chacun de nous pouvait contenir dans sa poche l’univers entier. »

Les auteurs font le choix d’un récit chronologique très documenté pour évoquer ce pays dont le nom signifie « Là où se termine la terre ». Parallèlement, ils renseignent le lecteur sur l’état et les grands événements du monde à la même période. Pour nombre d’entre nous, le Chili reste souvent associé au nom de Pinochet et à la dictature. Il en est bien question évidemment dans cet album qui se clôt sur l’horreur de ce régime. Mais avant, le Chili pour Pedro c’était aussi la mer, les hivers rudes, l’enfance et l’insouciance, entre la maison d’été et le grand jardin de celle de Santiago. Il a beau appartenir à une famille de « turcos », des immigrés originaires du Liban, Pedro grandit totalement imprégné de l’essence de ce pays pour lequel il sera prêt à s’engager.

Cette enfance, marquée par quelques séismes au propre et au figuré, entre sa mère Albana et Guillermo, son écrivain de père, est heureuse malgré une scolarité délicate. Malgré les jeux avec les copains, son évasion dans les livres et les films, il a déjà conscience des injustices sociales et économiques. Il y a ceux qui ont des billes et ceux qui laissent leurs mains dans leurs poches pour oublier qu’ils n’ont en pas !

Pendant ce temps, « le globe se contractait en deux blocs dressés l’un contre l’autre », la guerre froide et le maccarthysme font rage, on crée la CIA, la SOA (School of the America) destinée à permettre la résistance des armées latino-américaine face au communisme et qui assura la formation de tristes sires comme Videla, Somoza, Noriega ou encore Pinochet. Comme sur toute la zone, l’ingérence américaine est immense, soutenue parfois par celle du Vatican ou de quelques pays d’Europe discrets. Le monde est devenu un grand échiquier politique sur lequel les grands se battent à coup de discours, de stratégies plus ou moins fines, tandis que rien ne change pour les peuples. Les latifundistes se partagent l’essentiel, la misère est croissante, les faubourgs de plus en plus saturés. D’un politique à l’autre, finalement le seul point qui oscille, c’est son degré de répression.

Pedro grandit donc, s’ouvre à la planète à l’orée de ces années 60 et découvre la politique, animé de bien des idéaux. C’est l’âge où on refait le monde, en espérant qu’il puisse être meilleur un jour. C’est aussi le temps de certains voyages initiatiques, la traversée de cette très longue bande de terre jusqu’en Patagonie, puis la pointe du continent.

Les prises de conscience se font plus nettes, l’engagement de Pedro aussi. L’album ne se contente en effet pas de brosser une partie de l’histoire du Chili, c’est aussi un roman de l’éveil, le récit d’un parcours humain et politique qui doit trouver comment conjuguer le plaisir de porter un jean ou d’écouter Jimmy Hendrix sans pour autant accepter que son pays devienne le tiers-monde des USA. Alors le regard se porte forcément vers Cuba, mais aussi la vague de contestation planétaire de 68 ; les espoirs se placent en Allende.

Les intérêts de ce roman graphique sont évidemment nombreux, entre cette aventure humaine et celle du pays. Les auteurs accordent une telle place au contexte mondial, que le lecteur peut aussi réviser une grande partie des événements qui ont marqué la seconde moitié du texte.
Le choix du noir et blanc colle bien à la période, on aurait presque l’impression parfois de suivre des images d’archives lorsque le graphisme se fait plus plein. Alain Frappier alterne en effet des planches au dessin assez épuré et des cases soudainement très détaillées et très denses, proches de la photographie. Je déplore juste la taille de certaines polices très difficiles à lire.

Lecture effectuée dans le cadre de hébergée cette semaine chez Noukette.

23 réflexions au sujet de “« Là où se termine la terre, Chili 1948-1970 », Désirée et Alain Frappier, Steinkis 2017”

  1. Lecture prévu très prochainement. J’ai eu la chance de discuter avec les Frappier un long moment et de comprendre mieux encore que le contexte de cet album qui semble superbe.

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  2. Faudra pas la lire trop tard le soir alors… mes yeux ont de plus en plus de mal avec les petits caractères 😉

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