Littérature française

« Qu’il emporte mon secret », Sylvie Le Bihan, Seuil 2017


Une claque !

C’est dans une chambre d’hôtel grenobloise qu’on rencontre la narratrice une nuit de décembre 2015. « Une chambre impersonnelle à l’ambiance belge ». C’est un procès dans lequel elle est appelée à comparaitre qui justifie sa présence en cette ville. Solitaire, confrontée subitement aux démons enfouis au fond de son âme, elle reconstruit pièce par pièce le puzzle qu’elle avait soigneusement défait.
« Comment accepter de retoucher à ses blessures sans avoir peur de se souvenir de l’effroi qui les a accompagnées ? ».
Ce récit, superbement intime, évoque le viol et ses dommages collatéraux, comme l’impossibilité de se laisser aller à aimer, à conjuguer le deux comme en témoigne la longue lettre à Léo qui émaille la narration.
« Mon plaisir est solitaire, je ne veux pas aimer. Mon cœur n’est qu’un organe que j’entretiens en courant… »
« J’ai l’intime conviction que c’est affreux, d’aimer. L’idée que tout notre bonheur repose sur l’autre, que notre éclat dépende de lui, que son départ doive immanquablement nous laisser la mine défaite et le cœur en miettes, tout ça m’effraie. Je crois aussi que l’amour, s’il n’est pas dangereux, rend niais ; on est toujours maladroit dans les domaines qu’on ne maîtrise pas et il n’y a pas plus conne qu’une femme amoureuse, c’est pour ça que je les fuis quand elles commencent à vouloir s’épancher…Les gens qui ont trop besoin d’aimer me font peur. Je ne sais pas rassurer. Je tiens donc l’amour à distance.
Et pourtant je ne peux m’empêcher de rêver d’une histoire qui me consume, d’un amour impossible – il est nécessaire qu’il soit impossible pour souffrir – d’une remontée des abymes tenue par le câble de la passion… »
Comme pour se tenir à distance d’elle même et rester debout, cette femme meurtrie manie un cynisme troublant, touchant, qui ne laisse pas le lecteur indifférent. On ne sort pas indemne de cette lecture, ni de la rencontre avec cette écriture poignante, poétique et criante de vérité.
« car il faut que tu saches que les cris d’une femme violée sont entrecoupés des râles de plaisir de ses assaillants. En moi, la trace, le souvenir de l’orgasme d’un de ces salauds grossissait. »
Au terme de cette lecture qui m’a souvent coupé le souffle, c’est le terme catabase qui s’est imposé à moi. Il m’a semblé que cette plongée au cœur de l’intime, dans ce qu’il peut avoir de plus douloureux, était finalement la seule occasion de pouvoir surmonter enfin cette « nuit d’apocalypse » et de renaître à soi-même.

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