Lorsqu’elle a rencontré Pablo, 10 ans auparavant, Louise n’attendait rien, évitait les projets et ne songeait pas un instant à procréer. Il lui semblait qu’elle avait grandi triste, qu’elle était « là, minérale, immobile, pesante », loin de l’agitation de Pablo qui abordait l’existence sur le mode de l’urgence. Paul et Angèle sont pourtant nés, et l’ont poussé à refouler cette tristesse, à choisir le parti de la gaieté. Elle veut le meilleur pour eux, ce qui suppose qu’elle remplace ses cigarettes par des nicorettes et ses excès d’humeur noire par un dévouement heureux. Elle veut leur épargner son enfance, l’héritage douloureux de sa propre mère, une camée paumée qui n’est parvenue à assumer son rôle, une succession de belles-mères affreuses et castratrices, toutes ces blessures qui font une enfance brisée. Elle doit aussi affronter cette peur qui est « livrée avec les enfants » et qui vous oblige à vous oublier.
Le roman aborde bien entendu la question de la maternité dans ce qu’elle peut avoir de grandiose et de douloureux aussi. Louise la vit comme une fin en soi, une sorte d’anéantissement salutaire d’elle même, même si son incapacité à vivre pleinement et sereinement reste pesante.
Au-delà, il pose ce problème de la transmission, qui intéresse tant la psychogénétique. Nous ne naissons jamais en effet comme une page blanche, mais nous portons en nous la mémoire de notre famille, ses blessures et ses névroses.
« et je sais juste qu’une maman malheureuse vous refile toujours un bout de son malheur, sans le faire exprès et sans le savoir, c’est comme ça, le chagrin ne disparaît pas quand il s’en va, il passe d’une personne à l’autre, comme un rhume, un bâillement, une toux, un fou rire. »
Dans une écriture moderne, parfois presque névrotique, Justine Levy décrit avec une justesse incroyable cette mélancolie tentaculaire qui peut verrouiller nos existences. Ses mots, à la fois cliniques et sensibles, disent la difficulté qu’il peut y avoir à donner vraiment la vie quand on l’a soi-même si mal reçue.
« Toujours le même, mon obsession, ma hantise, le barrage contre le Pacifique de la tristesse héritée, la machine à pomper, siphonner, évacuer les chromosomes de chagrin venus du passé. Je déteste les familles, je déteste les gens qui sont fiers de leur famille et veulent à tout prix que ça se sache, je déteste les arbres généalogiques, les lignées, les souches, les dynasties [….] c’est parce que je sais que c’est par là que tout le mal arrive… »
La dernière citation est extrêmement dure, mais parfois on sauve sa peau en sciant son arbre ggénéalogique.
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