Voici venir lundi et l’atelier rituel de Leiloona du blog Bricabook. Rappelez-vous, le principe est simple, puisqu’il suffit de composer chaque semaine le texte de son choix sur une photographie imposée.
Une belle surprise cette semaine puisque la photographe est aussi une romancière, Valentine Goby, dont j’ai adoré le dernier roman, Un paquebot dans les arbres.
@ valentine Goby
Voici ma participation,
« j’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies »
Harassée par les tumultes de mes jours exilés, j’avais amorcé mon retour sur un coup de tête. Comme une vieille goélette avariée, je rentrais au port. C’était le temps de s’amarrer pour mieux repartir. Puiser à mes racines, une énergie nouvelle, cette sève qui infuserait la moindre de mes cellules, de mes pensées, pour retrouver l’essence du désir.
A quelques encablures encore de ma demeure natale, je me repais de ces montagnes, de ces brins gelés qui s’offrent au levant. Ces pans enneigés contrastent avec les paysages désertiques que j’ai arpentés des mois durant, en quête d’un autre monde, d’un autre moi.
Effroyable besoin de conquête ! Sans cesse se dépasser, défier les dangers et les lois de la pesanteur familiale. Comme un bateau ivre, larguer les amarres, traverser des fleuves impassibles, insoucieuse de leur monde étriqué, du périmètre de la vallée qui les a vus naître et qui les verra mourir. M’abreuver aux clapotements furieux des marées, malgré les écueils et les tempêtes, danser dans les sables brumeux sans jamais craindre l’échouage. Braver les marécages, la densité des forêts obscures et inscrire mes pas dans le hasard des sillons. M’offrir, déboussolée aux cieux étoilés, à la lumière chaleureuse de terres inconnues, loin des digues et des pontons. Vivre ! Credo d’une femme en rupture de bans…Mais d’une péninsule à l’autre, toujours le même constat, cette étrange sentiment de mon insularité. Toujours cette soif d’un ailleurs qui se dérobe encore.
Pour eux, ce ne sont que fuites perpétuelles et vagabondages, refus de grandir, d’épouser le fils du père Gontran et de reprendre la ferme. Refus de tenir mon rang, de rester à ma place, aimante et reconnaissante. Je sais déjà leurs mots, je les entends, entre deux chants d’oiseaux…Ingratitude. Rejet. Négation de mes racines…mais je les laisserai glisser comme l’écume du ressac sur ma peau abandonnée. Ils s’envoleront dans les dentelures glacées du paysage, s’évaporeront sous ce soleil d’hiver, se dilueront dans le flot de mes souvenirs. Je tendrai la main, je caresserai les leurs, attentive à mon silence.
Alors en ce matin frais, l’aube ne me navre pas, non. Exaltée, je songe à Arthur, je dévore les azurs verts, je m’imprègne des rythmes lents de ce jour qui point, je hume la terre humide et les feuillages putrides qui la jonchent. Je m’éveille après ces mois pleins, ce cheminement solitaire entre sable et pierres, où « j’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies ».
Sabine, c’est sublime… j’aime la musicalité de ton texte et la puissance des images. La goélette avariée, « la nuit verte aux neiges éblouies ». On dirait un cadavre exquis. Mais ton texte a tout de la description romantique, en même temps. Bravo.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Sarah, l’écirre m’a fait un bien fou. Mais « la nuit verte aux neiges éblouies » appartient à Rimbaud.
J’aimeJ’aime
Qu’il est bon de se laisser porter par cette symphonie de mots, de sons, d’images et de sensations… J’aime beaucoup, beaucoup !!
J’aimeJ’aime
Je suis très flattée Nath, merci.
J’aimeJ’aime
Un renouveau qui fait plaisir à lire. Joli texte!
J’aimeJ’aime
Merci !
J’aimeJ’aime
Très beau texte. Le retour, tout en décrivant le départ et la découverte… Et la question de partir à la découverte de soi. Magnifique 🙂
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup, je suis très touchée.
J’aimeJ’aime
Quel style ! Et comme je te retrouve entre ses lignes. Un bel autoportrait fictif à mes yeux …
J’aimeJ’aime
Il y a de cela en effet ! Merci Leil! Tu me touches .
J’aimeAimé par 1 personne
Wahou ! Bravo ton texte est sublime : poétique, chantant, délicat et touchant ! Mention spéciale pour le 2ème paragraphe que j’affectionne particulièrement.
J’aimeAimé par 1 personne
Je l’aime bien aussi. Merci l’Ivresse ! (quel beau pseudo au passage !)
J’aimeJ’aime
Waouuuu ! Bluffée par tes mots et leur musicalité ! Bravo
J’aimeJ’aime
Merci Nady, cette photo me parlait vraiment.
J’aimeJ’aime
Un texte qui porte haut des mots soigneusement choisis pour nous emmener ailleurs…..Je retrouve dans ce récit épique la beauté de tes photos prises par ton âme voyageuse….Serait-elle revenue au port ?
J’aimeJ’aime
Merci Bénédicte ! Elle est au port en effet et s’y sent trop à l’étroit !
J’aimeJ’aime
Le portrait vivant d’une femme de caractère. C’est bien de renouer avec ses racines, sans se renier.
NB J’ai pensé à Catherine Poulain , l’auteur du Grand marin.
J’aimeJ’aime
Une référence que je ne connais pas et qui m’ouvre donc des perspectives ! Merci !
J’aimeJ’aime