J’entame cette nouvelle année avec un petit bonheur de lecture, « La valse des arbres et du ciel » de Jean-Michel Guenassia paru chez Albin Michel en 2016. Entrecroisant histoire, biographie et fiction, ce dernier s’intéresse aux liens qui ont pu unir Vincent Van Gogh à la famille Gachet et qui expliquent pourquoi une partie des toiles exposées à Orsay étaient des faux.
Cette plongée à Auvers sur Oise, le temps de l’été 1890, se propose ainsi de déconstruire le mythe de cette amitié entre le peintre et le médecin amplement entretenu par Paul Gachet fils. S’inspirant des dernières thèses en vigueur il remet aussi en cause le suicide de l’artiste.
Mais ce roman essentiellement centré sur le personnage de Marguerite Gachet, le dernier amour de Van Gogh, est surtout l’occasion de revenir sur la difficile condition des filles en cette fin du XIX°. Le récit se présente comme une autobiographie soucieuse d’apporter un témoignage et de rétablir la vérité. Nous découvrons ainsi une Marguerite très en avance sur son temps, qui s’est battue pour passer son baccalauréat mais aussi pour conserver sa liberté amoureuse en dehors de toutes conventions. Rebelle, elle aspire à devenir peintre à une époque où les Beaux Arts sont interdits aux femmes. Dans une société française encore très traditionnaliste et patriarcale, qui voudrait qu’elle épousât un fils de bonne famille et se cantonne à une peinture et à une musique de salon, elle rêve d’Amérique comme d’un Eldorado.
Sa condition est d’autant plus insupportable qu’elle entretient des relations délicates avec un père profondément égoïste et calculateur qui cherche à briller à travers sa progéniture.
« Il prétend que jamais père n’eut fille qui lui donnât moins de satisfaction. »
C’est un beau portrait de femme forte et entière que nous brosse Guenassia, une histoire d’amour absolu aussi. Ivre de vie et d’amour pour Vincent, Marguerite est prête à tous les sacrifices, même à celui de la claustration, pour préserver sa liberté de penser et d’aimer.
« Hier j’étais vierge, et aujourd’hui je ne le suis plus. J’imaginais une ivresse irrésistible, une valse vertigineuse, étourdissante, je m’attendais à être emportée par une tempête qui me ferait perdre la tête et oublier la pesanteur terrestre, le corps dévoré par une fièvre ardente, comme un de ces feux de forêt qui transforment un arbre en torche vivante. Ce fut juste douloureux, pénible, et désagréable. Déplaisant, même. Je ne comprends pas pour quelle raison on fait une montagne de ce gigotage fastidieux. Que certaines se pâment avec des minauderies me paraît excessif et trompeur. Monsieur Zola m’a égarée avec ses sous-entendus pleins de mystère et de passion. Lui et bien d’autres. L’amante, c’est sûr, n’y trouve pas son compte. »
« Je lui ai donné ce que j’avais de plus précieux, il en est conscient. Ce sera notre secret. A partir de cet instant, je suis sa femme. Pour toujours. »
Au delà, le récit, émaillé d’extraits du journal La Lanterne, retrace toute une époque qui vit l’avènement parfois délicat de la république, la lente évolution de la société et les remous artistiques générés tan par les impressionnistes que par Zola. Le regard de Marguerite sur les toiles de Van Gogh permet de nombreux ekphrasis et une belle approche du processus de création.