Je termine l’année sur une lecture parfaitement addictive et une belle rencontre avec Serge Joncour que je ne connaissais pas.
Ce roman, qui nous conte les amours improbables et clandestines de deux êtres que tout oppose, porte aussi un regard acéré et humain sur les travers de notre société, le jeu des apparences, le difficile équilibre de nos forces et de nos faiblesses.
Quadragénaire, Ludovic Barrère a du quitter son sud et sa ferme natale pour travailler à Paris. Loin de sa vallée du Célé, il a désormais la conviction de jouer le rôle d’un homme qu’il n’est pas. Tous les matins il enfile son blazer qui jure avec ses baskets blanches et s’invite chez les gens pour éviter que leurs soucis ne s’aggravent. Employé par la société Coubressac comme agent de recouvrement il doit affronter la misère du monde, ses petites escroqueries, et faire preuve de tact mais aussi de persuasion.
La narration de ces visites domiciliaires, contribuent amplement à l’intérêt du roman. Certaines anecdotes sont drôles, d’autres acides, mais toutes permettent une réflexion sur cette hyperconsommation dans laquelle nous sommes un peu tous embarqués. Elles sont aussi l’occasion d’une galerie de portraits symptomatiques de la population française.
« les impayés en France c’est six cent milliards d’euros pas an »
J’ai particulièrement aimé l’histoire de cette Mme Salama, peu encline à honorer ses engagements pour une bague de 700 euros achetée pour le mariage de sa petite fille qui a eu le temps de divorcer avant que la bague ne soit payée.
Mais Ludovic, c’est aussi un gars solide, l’une de ces forces de la nature qui ne ressent pas toujours « l’impact de sa masse lancée au milieu des autres ».
Veuf et solitaire il vit dans un immeuble parisien, une construction qui comprend plusieurs bâtiments d’allure contrastée. Si lui occupe une aile fort commune, il lui arrive de croiser la belle Aurore, qui vit dans la partie plus huppée, dans le local des boîtes aux lettres.
La narration alternée relate alors ces existences parallèles dans un Paris qui grouille de vies plus ou moins solitaires dans lesquelles l’autre n’existe pas vraiment. Se fiant aux apparences, souvent trompeuses, Ludovic voit Aurore comme une jeune femme pleine d’assurance et de morgue. Elle le considère un peu comme une brute épaisse.
Aurore est pourtant une jeune femme déprimée, cernée par ses peurs, harassée par son existence et son job de créatrice de mode. Tout la stresse : Fabian son associé qui ne lui parle plus, les dettes qui s’accumulent, le temps qu’on lui vole, et toutes ces choses qui n’en finissent pas de se détraquer. Cerise sur le gâteau, elle est aussi hantée par des corbeaux qui règnent désormais en maîtres dans sa cour. Ni Richard, son américain de mari, ni ses enfants ne semblent comprendre cette terreur. Seul son voisin, régulièrement « accablé par la déveine des autres » et véritable « mur porteur », lui viendra peut-être en aide.
A travers ces deux personnages, Joncour s’intéresse à cette société moderne gagnée par une forme d’agressivité permanente, une société dans laquelle « on n’en finit pas de se gêner, un monde où chacun tremble pour son avenir », sans trop se soucier du reste. Il aborde aussi pas mal de questions d’actualité lorsqu’Aurore, adepte de la mode éthique, se bat pour ne pas délocaliser sa production, tandis que Ludovic tempête contre les engrais et les pesticides.
Je n’en dirai pas plus sur cette intrigue qui, pour notre plus grand plaisir, prend des tours et des détours. Joncour a l’art de jouer avec son lecteur et de le surprendre. Il est également doté d’une belle plume, une écriture sensible qui parvient à dire l’essence de l’humanité à travers des métaphores inédites et une constante recherche de l’impression et du mot justes.
« Je ne peux pas refaire ma vie, mais je ne peux pas vivre sans lui, sa présence m’est trop précieuse, sa présence me remplit, à côté de lui j’ai l’impression la plus nette d’être moi. C’est un choix démesuré de quitter la personne avec qui on vit, avec qui on est installé depuis des années, avec qui on a des enfants, c’est une décision impossible à prendre, parce qu’elle ouvre sur trop d’abîmes, rompre c’est assumer de défaire son existence, mais aussi celle des autres autour, au risque de tout perdre, de les perdre eux-mêmes, au risque de tout déstabiliser. Quitter c’est se redonner vie à soi, mais c’est aussi redonner vie à l’autre, quitter c’est redonner vie à plein de gens, c’est pour cela que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu’ils ne savent pas faire. Seulement cet homme au bout de mes doigts, je l’aime bien plus qu’il ne l’imagine… »
Inutile de préciser que je vais me jeter sur ses précédents romans !
Je te conseille l’amour sans le faire qui m’a vraiment beaucoup plu. J’ai lu aussi l’écrivain national qui est très ironique 🙂
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Je viens d’acheter l’Ecrivain National , je note le second titre. Un auteur à suivre en tout cas !
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C’est un auteur que j’aime beaucoup et j’ai lu les deux dont parle Estellecalim. Une valeur sûre pour moi.
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Je veux bien te croire ! Je n’ai lu que celui-ci et l’écriture m’a convaincue.
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