Pour ceux qui ne le sauraient pas encore mon lundi est dévolu à l’atelier d’écriture de Leiloona, du blog Bric a book.
Il s’agissait cette semaine de composer le texte de son choix sur une photographie de Romaric Cazaux.
Voici ma participation…
L’instant d’AVANT
L’instant d’avant, ce bellâtre, qui porte nonchalamment sa veste sur l’épaule, tenait une conférence sur les risques de krachs boursiers. Son auditoire, acquis à la cause de cette figure mondiale du capitalisme, gardait un œil rivé sur ses paroles, d’Evangiles, tandis que l’autre surveillait l’évolution des marchés de Tokyo. Il hésitait désormais entre les petits plaisirs parisiens et ses spéculations quotidiennes. Il était encore un peu tôt pour regagner l’hôtel dans lequel il était descendu.
L’instant d’avant, ce bougon pressé en premier plan se libérait de son uniforme qu’il déboutonnait impatiemment comme s’il s’était agi de se défaire d’un carcan insoutenable. Son emploi de liftier dans un grand hôtel module hélas ses humeurs. Le voilà qui peste contre ces passants figés sur la place. Pour conjuguer avec cette existence de larbin pour touristes de luxe qui l ‘asphyxie avec une rare violence, il court vers la salle de boxe. Poings rageurs en avant, il fracassera bientôt sa haine pour le genre humain en frappant dans le sac. Demain pourra être un autre jour !
L’instant d’avant, cette jeune femme qui minaude, la main dans les cheveux, offrait son corps à son amant entre les draps de soie sauvage d’un hôtel coquet du quartier. Avocate, elle avait prétexté une visite au Palais. Elle feint désormais de batifoler. Son numéro est bien rodé. Si souvent répété.
L’instant d’avant, son époux, cachait sans doute son agacement derrière ses lunettes noires. Elle était en retard. Son job l’accaparait décidément trop. Mais elle est là, souriante tandis qu’il boit ses paroles, rassuré et amoureux.
L’instant d’avant, leur ami, savourait un café en terrasse, en même temps que la fin d’une semaine difficile. Travailler au 36, n’était pas une sinécure. Ils ne tarderaient pas. La soirée serait belle. Sympathique. Le pan de sa chemise, sorti du pantalon, dit toute sa décontraction, peut-être même le bonheur d’être là.
L’instant d’avant, Louna avait encore sa main glissée dans celle de sa mère. Elle la suivait religieusement jusqu’à ce que la devanture d’un magasin de jouets suscite sa curiosité. Le monde était alors rassurant. Encore.
Ils se tiennent là sur les pavés réchauffés par le soleil printanier, comme dans un arrêt sur image. Leurs gestes semblent suspendus. Ils attendent l’heure, un ami, une inspiration, une mère. Ils rient, râlent, devisent, tandis que Louna s’interroge. Droite ? Gauche ? Ici ? Sans doute refoule-t-elle difficilement ses premières larmes sans oser crier « Maman ». On aurait voulu qu’elle se décide. Qu’elle retourne devant la boutique…Elle ne faisait pas partie du plan. Comme un grain de sable aléatoire sa présence inopinée avait peut-être dérangé, et pourtant !
A l’abri du vent, ils ignorent que l’après leur sera volé. Ce n’est qu’une affaire de quelques dixièmes de seconde.
Le photographe ne le soupçonne pas non plus. A l‘instant où il déclenche son Leica, il est forcément bien loin d’imaginer que son cliché immortalisera à jamais cet instant d’AVANT, cet espace-temps fugitif où le bonheur était encore possible, où rien n’avait encore volé en éclats.
Beau texte qui m’a amené à regarder à nouveau et de plus près cette image. J’aime beaucoup cette tension que tu crées assez tôt, avec ces « L’instant d’avant » qui met la table à une catastrophe anticipée. Et toujours magnifiquement écrit. Tout coule de façon parfaite. Bravo!
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Merci Pierforest !!!!
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Chronique d’une catastrophe annoncé ! Un texte poignant.
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En effet Albertine!
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Comme pierforest j’ai pris plaisir à regarder à nouveau la photo pour ne louper aucun détail que tu décris si bien.
Belle idée de texte sur ces instant d’avant et de finir sur ce présent immortalisé à jamais et qu’on regardera encore dans le futur ! Bravo !
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à défaut de leur futur volé oui!
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Très joli texte qui m’a mise sous tension. Tu imbriques ces morceaux de vie à merveille, cet espèce de « nombrilisme » qui fait que personne ne s’aperçoit tout de suite de cette petite fille seule et égarée. Une fin qui donne envie de connaître la suite malgré tout.
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Suite un peu dure que j’ai préféré laisser sous silence…
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j’aime ce regard sur les différents personnages et sur leur vie d’avant l’instant de la photo!
belle réussite 🙂
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Merci Adrienne ! J’ai préféré en effet juste suggéré l’après sans raconter, ainsi chacun y met ce qu’il veut.
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Il peut se passer des tas de choses en un dixième de seconde. Moi qui fais un peu de photo je sais qu’il faut parfois être rapide pour prendre le cliché que l’on veut…
Les vies des personnages sont suggérées mais on a l’impression de les connaître depuis longtemps.
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je cherchais en effet à simplement suggérer. Merci de ta lecture!
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Je trouve l’idée de ton texte à la fois belle et originale et le développement de l’histoire est mené de main de maître ! Du coup après ma lecture, j’ai moi aussi regardé la photo avec un œil nouveau, et plus dans le détail. Bravo !
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Merci Jos, trouve run angle d’attaque ne fut pas si facile.
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Punaise … oui, en un instant une vie peut voler en éclats, ou au contraire atteindre un point qui ressemble à du bonheur … Un instant, une seconde après, et tout peut changer irrémédiablement.
Très joli texte qui joue aussi sur l’être et le paraître, sur les choix, à prendre ou pas. Une tension constante qui nous pousse à continuer la lecture jusqu’à la fin. La suite, à nous de l’imaginer … il ne sert effectivement à rien de la raconter.
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Merci Leil, je cherchais cette tension en effet, sans vouloir trop en faire, ni en dire.
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J’aime la philosophie de ton texte, qui nous dit que chaque instant est précieux, et que le bonheur peut voler en éclat à tout moment… C’est bien écrit… Bravo !
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Merci Victor, l’idée est en effet celle-ci !
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