Côté plume

Atelier de Leil (66) : Son pesant d’or…


Chez Leiloona, du blog Bric a book, on attend avec impatience la publication de la photo de la semaine. Entre surprise et défi , le clavier frétille. Parfois le cliché nous parle, l’idée s’impose à nous quasi immédiatement, mais il arrive aussi que ce soit plus compliqué.

La photographie de cette semaine, signée de Vincent Héquet, intimiste, me séduisait mais me laissait coîte, solitaire avec cette impression étrange d’être une voyeuse…

leil66

Voic ma particitation…

Son pesant d’or

Les bras lui en seraient presque tombés lorsque Matt Winner lui avait remis son rapport, fier comme Artaban et sûr de son fait. Passé une phase d’incrédulité, Roch avait eu peine à retenir une colère immense. On ne la lui faisait pas à lui, le grand Roch Heavy ! Non, on ne se permettait pas de le prendre pour un imbécile ! Il était à la tête du plus grand empire immobilier des Etats Unis, qu’on se le dise ! Sa lotus bleu pétrole en imposait et il avait à sa solde un nombre faramineux d’employés dont pas un n’aurait osé lui dire non. Il était accoutumé à ce que personne ne le contrarie, ne remette en doute l’architecture savamment étudiée de son organisation professionnelle et intime. Tant son monde que son système de pensée binaire lui semblaient infaillibles, parfaitement incontestables. Son ego ne connaissait aucune mesure, sa puissance guère de limites. Sa fine moustache complétait son aura et son ventre, proéminent, comme tendu vers l’avenir, s’exhibait à l’aune de son assurance. Il ne tolérait aucun grain de sable dans l’ordre qu’il avait établi, sa maniaquerie était d’ailleurs légendaire.

Surpris, Winner s’efforça d’argumenter d’abord, de se justifier avant de n’être plus contraint qu’au silence. Heavy ne voulait manifestement rien entendre d’autre que le propre écho de sa rage qui le confortait vainement dans l’importance qu’il voulait bien s’accorder. Habitué aux hommes et fin psychologue, Matt savait se montrer sage et économiser une salive et une énergie précieuses. Impassible, il se laissa aller au spectacle de ce déchainement vaniteux…Risibilité de l’être…

Totalement préoccupé de lui même, Roch ne percevait même pas ce léger sourire narquois qui s’esquissait sur le visage de son interlocuteur. Son mutisme signait sa victoire. Il l’avait maté le bougre ! Son flair ne lui faisait que très rarement défaut. Cette sorte de sixième sens compensait ses neurones, que d’aucuns jugeaient défectueux ou absents, sans qu’il s’en doutât jamais. Il savait d’ordinaire s’entourer des bonnes personnes ; il avait l’art d’obtenir le meilleur des autres, d’exploiter et de monnayer leurs compétences. Comment avait-il pu se fourvoyer avec cet incapable, ce détective de mes deux qui avait sans doute confondu sa cible avec une autre. Fuck !

Ce n’était tout de même pas compliqué de filer sa pauvre femme, tellement prévisible, tellement stupide qu’elle avait peur de son ombre et qu’elle était inapte à tout plan machiavélique efficace. S’il avait des doutes depuis quelques semaines sur l’honnêteté de Jane, il ne doutait cependant pas qu’il parviendrait à la percer à jour rapidement… surtout en s’offrant à prix d’or les services d’un ancien enquêteur du FBI reconverti dans le secteur privé. Lui intimant l’ordre de rassembler ses feuillets ineptes et de ficher le camp, Roch congédia Winner sur le mode de l’ultimatum. Il lui laissait 48 heures pour découvrir où son épouse passait désormais ses jeudis sous le prétexte fallacieux d’apporter son soutien à une association caritative. Il espérait apprendre dans le même temps comment elle investissait les fonds de plus en plus importants qu’elle soutirait sur son compte. Il ne faisait nul doute que ce n’était certainement pas pour louer cette garçonnière aux rideaux délavés. Les draps qui n’étaient même pas de soie, juraient avec les coussins. Jamais Jane, qui n’avait que le choix des palaces pour égrener les longues heures oisives de son existence, ne céderait à pareille faute de goût. Jamais elle ne supporterait ce désordre, ce plancher rugueux, ce luminaire kitsch…

Winner, qui n’attendait que le signal de son congé, le salua, le gratifia des salamalecs de circonstances avant de dévaler les escaliers de service en toute hâte. Une fois sur le trottoir, les clichés de Vincent Héquet, son collègue et ami photographe toujours en main, il se laissa aller à un formidable éclat de rire. Un rire tonitruant et sardonique. Son plan avait muri doucement durant cet entretien. Jane présentait bien des atouts…sans compter ses atours. Ce cliché valait décidément son pesant d’or !

24 réflexions au sujet de “Atelier de Leil (66) : Son pesant d’or…”

  1. J’adore la description de ce requin (ventru !) qui se croit plus fort que tout le monde ! La fin me semble un peu cynique : Jane passe d’un requin à un serpent ?

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  2. Wow, une écriture que je qualifierai de très masculine pour ce texte ! Punchy, cynique ! Ton écriture change, ma belle ! Incroyable comme elle devient mature … elle l’était déjà, mais tu sembles t’affranchir de certaines tournures plus artificielles, là j’ai vraiment l’impression que c’est écrit d’un jet alors que ce n’est pas le cas. Nan, bravo, suis impressionnée par ta maîtrise narrative.

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  3. Une bonne scène de film, délicieux détails pour que l’on s’imprègne à jamais de ce personnage tonitruant, et boum ! la belle chute sous forme de vengeance, superbe !

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  4. Je me suis demandé où était le lien avec la photo quand la conclusion m’apporta la réponse 😉 belle description de ces odieux personnages à l’égo sur dimensionné ; -)

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  5. Je me suis longtemps demandé le rapport avec la photo, jusqu’à la fin, où j’ai tout compris… Je trouve ton écriture très différente de la semaine dernière, comme notre chère Leiloona ! Un sacré personnage que ce Winner, quel manipulateur ! Bravo pour ce texte rythmé, j’ai beaucoup aimé !

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  6. Je trouve ton écriture très différente des autres semaines, tout comme Leiloona ! Un sacré personnage que ce Winner, quel manipulateur ! J’ai beaucoup aimé ce texte très bien rythmé, bravo !

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