Littérature étrangère

« Désorientale », Négar Djavadi, Liana Levi, 2016


desorientale

Négar Djavadi s’est jusque là illustrée au cinéma en participant au scénario de 13m2 et à la création de la série Tiger Lily. En cette rentrée littéraire, elle signe son entrée dans le monde des lettres avec un roman remarquable et assez vertigineux qui emprunte sans doute à sa propre expérience de la révolution et de l’exil.

Le roman, écrit à la première personne, se construit en deux temps, ou plus exactement deux faces, chacune correspondant à un lieu : l’Iran puis la France. Les va et vient entre les époques et les lieux sont cependant constants.

« Raconter le présent exige que je remonte loin dans le passé, que je traverse les frontières, survole les montagnes et rejoigne ce lac immense qu’on appelle mer, guidée par le flux des images, des associations libres, des soubresauts organiques, les creux et les bosses sculptés dans mes souvenirs par le temps. »

Kimia Sadr hante une salle d’attente du service de procréation de l’hôpital Cochin. Elle comble cette attente interminable en se laissant aller au gré de ses souvenirs. L’idée d’accéder peut-être à son tour à la maternité, l’invite à une vaste plongée dans l’histoire familiale depuis plusieurs générations, à moins qu’il ne s’agisse d’un coup des Djinns.
Fruit d’une union entre Darius, son père, un iranien de la région reculée de Mazandaran, et de Sara, d’origine arménienne, elle est aussi née le jour de la disparition de Nour, sa grand-mère, figure tutélaire s’il en est, ce qui a peut-être marquée sa vie d’un sceau bien étrange.

Cette incursion plusieurs générations en arrière, est l’occasion pour le lecteur de découvrir les us et coutumes d’une Perse souvent méconnue et de savourer les tribulations d’un clan aux personnalités bigarrées. A travers ces personnages hauts en couleurs, nous revisitons aussi l’histoire de l’Iran, l’avènement du Shah, sa chute, l’arrivée de Khomeiny, les temps de révolution et les espoirs déçus. Le récit tient alors de la saga et se lit comme la fresque historique d’un état qui se cherche entre modernité et tradition.

Au-delà, Négar Djavadi aborde avec finesse les délicates questions des relations homme/femme, des différences sociales ou encore de l’homosexualité dans une société en perpétuel mouvement.

Née dans un milieu intellectuel et bourgeois particulièrement francophile, elle retrace également les tentatives d’opposition aux différents régimes, la répression, la clandestinité puis la tentation de l’exil et ses difficultés. Le roman s’attarde en effet sur les écarts qui peuvent exister entre une France fantasmée depuis les rives de la mer Caspienne et les réalités. L’auteure déploie ainsi au fil des pages une poétique de la déchirure qui ne laisse pas le lecteur indemne. Confronté à ce déracinement, le clan Sadr peine à se retrouver tandis que chacun se voit bouleversé dans son identité. C’est d’autant plus difficile pour Kimia qu’elle entre à peine dans l’adolescence.

« Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. » « La survie est une affaire personnelle. »

« pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer, du moins partiellement, de la sienne. »

La narration tisse les expériences vécues avec les croyances et les légendes. Elle mêle les tonalités, joue avec nos émotions et s’autorise un humour quelquefois acide.
Si l’entrée dans le roman n’est pas forcément aisée en raison de la multiplicité des personnages et de la chronologie bousculée, on se laisse vite prendre par les aventures particulières de cette famille et par la langue acérée de Négar Djavadi.

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