Littérature française

« Celle que vous croyez », Camille Laurens, Gallimard, 2016


 

Voilà plusieurs semaines que je repousse l’écriture de ce billet, sans doute parce que je me suis trouvée devant un monument, l’un de ces romans qui vous bluffent, vous subjuguent et vous bouleversent, tant par les sujets abordés, que par l’écriture.

C’était ma première rencontre avec Camille Laurens, un rendez-vous attendu qui a tenu toutes ses promesses et bien au delà.

A travers ce récit, et les nombreuses mises en abyme, Camille Laurens aborde la question d’internet et des réseaux sociaux et la facilité à jouer avec les identités qu’ils proposent.

Claire Millecam, chargée d’un cours de littérature comparée à l’université, est à priori une femme bien sous tout rapport et parfaitement saine d’esprit. Divorcée, elle partage son temps entre ses enfants et une relation amoureuse toxique avec Jo, un amant éloigné qui refuse de s’engager. Loin d’accepter cette séparation, Claire, qui affronte aussi l’approche de la cinquantaine, s’accroche désespérément à ces miettes amoureuses. Angoissée par la solitude, effrayée par la roue du temps, elle refuse de renoncer à l’amour et au désir et se lance dans une entreprise totalement déraisonnable. Se créant un fake sur Facebook, elle se fait passer pour Claire Antunès une jeune femme de 24 ans avec laquelle elle ne partage guère que les 6 lettres du prénom. Il s’agit d’abord d’approcher Christophe, alias KissChris, un trentenaire photographe, colocataire de Jo dans l’espoir d’espionner ce dernier. Elle ignore alors qu’elle se perdra dans ce jeu de miroirs où les frontières entre le virtuel et la réalité s’estompent, se confondent et confinent à la folie. Jo s’efface progressivement de son esprit cédant la place à un Chris décidément bien séduisant. Leurs échanges enferment rapidement Claire dans un jeu identitaire dangereux qui la conduira entre les murs d’un hôpital psychiatrique….

 

« Assez vite je me suis prise au jeu – assez vite, ça a cessé d’être un jeu. »

 

Le récit orchestré en 3 temps encadrés par un prologue et un épilogue, décline alors ce scénario, en se jouant des personnages et des situations. C’est d’abord Claire elle-même qui conte sa maladie d’amour à son psy, qu’elle surnomme Marc. Elle oscille entre colère, éclairs de lucidité et autodérision, ce qui confère à cette terrible narration une touche humoristique indéniable. C’est ensuite Marc, qui donne son point de vue sur l’affaire lors d’une audition judiciaire, puis une narratrice romancière qui s’efforce de rassurer son éditeur le récit et ses sources en se réclamant de Duras ou de Laclos. Le tour de force de Camille Laurens réside alors dans sa capacité à varier les styles et l’écriture en fonction de chacun de ses personnages narrateurs.

Outre cette approche profondément moderne de l’amour fou et des liaisons potentiellement dangereuses, ce qui touche aussi terriblement une personne de mon âge, c’est le regard incisif que porte l’auteure sur la cinquantaine féminine et le décalage croissant qui existe alors entre les hommes et les femmes. Chez les premiers tout semble pouvoir encore commencer, tandis que les secondes, à la manière d’un pack de yaourts, redoutent d’approcher de la date de péremption.

 

« La différence, c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. Un à-venir. Un avenir sans nous. Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps. J’ai lu que sur les sites de rencontres, la frontière entre quarante-neuf et cinquante ans est pour les femmes le gouffre où elles s’abîment. A quarante-neuf ans, elles ont en moyenne quarante visites par semaine, à cinquante ans elles n’en ont plus que trois. Et pourtant, rien n’a changé, elles sont les mêmes, avec un an de plus. Vous connaissez ce sketch, je ne sais plus de qui, sur la date de péremption des boîtes de conserve : « A consommer jusqu’au 25 mars 2014. » Mais qu’est-ce qui se passe donc au fond de cette boîte dans la nuit du 25 au 26 ? Nous les femmes, nous sommes toutes des boîtes de conserve. Du jour au lendemain, impropres à la consommation. »

 

« alors pourquoi les femmes  devraient-elles s’arracher l’écharde du désir alors que les hommes refont leur vie, refont des enfants, refont le monde jusqu’à leur mort ? »

 

 

3 réflexions au sujet de “« Celle que vous croyez », Camille Laurens, Gallimard, 2016”

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