Parce que le cinéma indien ne se cantonne pas aux charmes de l’industrie bollywodienne et qu’il existe des réalisateurs de la trempe de Pan Nalin, je me dois d’évoquer son dernier long métrage sorti sur les écrans français en juillet 2016, « Déesses indiennes en colère ».
Commençons par rappeler le parcours atypique de ce cinéaste originaire des milieux pauvres qui hanta dans sa prime jeunesse la gare de son village histoire d’y vendre du thé et de soulager sa famille. Peu attiré par l’école, il se plaisait alors à peindre ou dessiner, avant de se laisser prendre par la passion du cinéma aux alentours de ses 9 ans. Outre deux documentaires, « Ayurveda » et « Faith Connections », on lui doit « La vallée des fleurs » et « Samsara ».
Avec ce dernier long métrage, résolument féministe et militant, nous découvrons un film en deux temps, orchestré autour d’un basculement tragique saisissant. Le scénario, co-signé par Pan Nalin et Arsala Qureishi, s’avère particulièrement audacieux puisqu’il porte un regard sans concession sur la place des femmes dans l’Inde d’aujourd’hui et sur ce fléau qu’est le viol, véritable plaie indienne puisqu’une femme y subit les violences d’un homme toutes les trente minutes.
Pour ce faire, il brosse initialement le portrait de 7 femmes indiennes d’aujourd’hui, toutes éduquées, cultivées et issues des classes urbaines moyennes ou supérieures : Frieda, Joanna, Laxmi, Paméla, Madhureeta, Suranjana et Nargis. Résidant aux quatre coins de l’Inde, elles restent liées par une amitié indéfectible. Chacune a sa manière évolue dans les milieux artistiques ou le monde des affaires et cherche à se faire une place dans une société encore profondément patriarcale. A travers elles, le réalisateur s’intéresse aux mutations plus ou moins lentes que connaît ce pays presque en proie à un conflit intérieur, entre tradition et modernité.
Alors que chacune organise son parcours, Frieda les invite dans sa maison de Goa, promettant de leur annoncer une grande nouvelle. Elles se retrouvent alors, profitant des joies du bord de mer, dans l’attente de célébrer le mariage inattendu de Frieda et son amie Nargis. Au delà de quelques petites querelles, elles partagent nombre de conversations débridées qui font fi des tabous. La maison prend des allures de gynécée tandis que le propos se fait à la fois plus intimiste, mais aussi plus critique. Toutes différentes, elles nous livrent un panorama large de cette jeunesse féminine indienne à grand renfort de confidences. La confession de leurs peines, de leurs petits bonheurs, mais aussi de leurs doutes et de leurs interrogations sur leurs carrières, leurs amours, le sexe, la famille, le poids des traditions, nous permettent de mieux mesurer la difficulté qui demeure à être une femme dans cette contrée asiatique. Le ton oscille alors entre humour et gravité avant de basculer dans la tragédie lorsque l’une d’entre elles périt des suites d’un viol en réunion.
Ce film féministe, extrêmement rythmé, qui milite aussi bien pour une égalité des genres que pour une homosexualité acceptée, est joliment servi par des actrices toutes aussi sublimes les unes que les autres : Amrit Maghera (Joanna), Rajshni Deshpande (Laxmi), Pavleen Gujral (Paméla), Anushka Manchanda (Madhureeta), Sandhya Mridul (Suranjana), Tannishtha Chatterjee (Nargis) et Sarah-Jane Dias qui crève l’écran dans le rôle de Frieda. La photo de Swapnil Sanowane rend d’ailleurs tout autant hommage à leur beauté qu’à celle des décors ou des costumes de Aradhana Seth et Ashinma Belapurkar, agréablement dépaysants.
Mon seul bémol concerne l’affiche, presqu’empreinte de trop de légereté, qui colle peu au propos de la narration.