Côté plume

Atelier de Leil (60): « La fille dans le brouillard »


Et voici venu le temps de la reprise de l’atelier d’écriture de Leiloona, du blog Bric a Book
L’exercice était un peu particulier cette semaine puisqu’il s’agissait de partir de la couverture du dernier roman de Donato Carrisi

Leil60

La fille dans le brouillard

Une main ferme saisit la poignée de la porte qui s’ouvrit dans un couinement douloureux. Comme la seconde était occupée par un mug de café bouillant et un paquet de Marlboro, Lloyd s’aida de son pied pour la maintenir entrebâillée. Son 45 avait du bon parfois. D’une foulée alerte il gagna son vieux fauteuil branlant et malgré tout propice à la méditation. Depuis cette terrasse de fortune, il savourait désormais les matins frais d’octobre dans les bayous. Qui l’eût cru ?! On était sûr de l’y trouver à l’aube, mais aussi entre chien et loup. Il aimait ces entre-deux, ces jeux de lumière instables qui diluent les contours, estompent les aigreurs de la réalité et la netteté des pensées. Il se laissait porter par l’écoulement des secondes et son esprit, parfois aussi tortueux que les méandres du Mississipi, s’aventurait dans des limbes inexplorés, inavouables…
La lumière fendillait progressivement le brouillard qui avait accompagné son réveil et il entendait les derniers hululements d’une vieille chouette. D’ici quelques instants, les aigrettes prendraient le relais. Les carouges à épaulettes aussi. La vie gagnerait les marais.
Lloyd se sentait curieusement dans son élément, comme s’il avait toujours eu pour frères ces alligators qui pullulent aux alentours.
Il faisait face à ce paysage infini et embrumé, vaguement gêné par l’humidité ambiante. Souvent, il s’oubliait dans cette contemplation. Son passé se noyait dans les eaux sombres du fleuve. Parfois, au contraire, les vagues reflets lui rappelaient les mirages de son existence, véritable miroir aux alouettes.
La vie lui avait subitement tourné le dos, comme une porte blindée qui claque violemment. Son univers confortable s’était dissout. Envolés en fumée l’appartement luxueux, les costumes chics et le quartier hype. Terminées les fiestas, le Dom Perignon, le béluga et les lignes de coke. Finies les filles et les voitures de luxe. Tout ce qu’il avait mis vingt ans à construire n’était finalement que château de cartes… Une existence ruinée pour une incartade, un simple entrefilet dans un journal d’abord, une vague allusion avant le grand déferlement médiatique et judiciaire. Sa bonne foi n’avait pas suffi. L’argent non plus. Il lui avait juste permis de régler la caution et de s’offrir les services de l’avocat le plus doué et le plus cher de la place. La « Star de Wall street » n’était désormais plus qu’un astéroïde poursuivant sa folle trajectoire comme un électron libre, ou presque.
Il s’était curieusement bien accoutumé à son nouveau modus vivendi et cultivait les plaisirs simples. Seul son bracelet électronique, qui le gênait quelquefois dans ses rangers, lui rappelait cette maudite fille et son honneur perdu. Homo lupus, il se terrait dans son antre, une frustre cabane de bois, et préférait la vie sauvage au monde des humains.
D’étranges clapotis, suivis de cris perçants, interrompirent sa réflexion. Cela venait du fleuve. C’était d’autant plus curieux que personne ne s’aventurait jamais dans ce coin. Lloyd attendit un peu, à l’affût d’un autre signe, puis il se décida à bouger lorsque les hurlements se firent plus intenses. Armé d’un coutelas, il se fraya un chemin dans les hautes herbes, déchirant au passage un pan de sa veste. Le brouillard encore trop épais lui rendait la tâche plus âpre. Il peinait à distinguer l’eau du sol et les premiers frimas n’incitaient pas à la baignade, sans compter qu’une rencontre désagréable était toujours possible.
C’est alors qu’il la vit. Ophélie ou Lorelei, peu importe. Fille de l’eau et du brouillard, elle lui apparut progressivement, formidablement belle. Ses longs cheveux blonds offerts aux vents scintillaient sous les premiers rayons du jour tandis que ses yeux affolés scrutaient la gauche de la barque sur laquelle elle se tenait. Guidé par le bruit du clapot, Lloyd distingua alors le caïman qui se dirigeait sereinement vers l’embarcation, attiré lui aussi par cette pépite inattendue. Ses poils se hérissèrent de plaisir et de jalousie. C’était toute l’adrénaline qu’il lui fallait, à condition d’être le plus rapide.

18 réflexions au sujet de “Atelier de Leil (60): « La fille dans le brouillard »”

  1. Ophélie ou Lorelei ! Nous avons les mêmes références, tiens, étrange ! 😀
    Plus sérieusement je suis plus que ravie de relire ta plume … tu as vraiment l’art de choisir le bon mot. Impressionnant.

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    1. Merci Ludo, j’aime les mots en effet… mais je ne suis pas certaine de toujours parvenir à les peser. Cela reste tout de même un sacré plaisir que cet atelier.

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    1. Ah ah, pas certaine que ce soit là son intention première. Qui sait, elle semble avoir des atouts. Merci de ton passage ici. Je vous retrouve aussi avec beaucoup de plaisir.

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  2. Quel plaisir de te lire à nouveau ! J’admire ton écriture, ton aisance à nous embarquer dans tes textes, ton choix de mots et ta façon de créer des ambiances. Celui-ci est particulièrement cinématographique !

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