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« Opium », Laure Garancher, Edit° Fei, 2014


 

Cet album est tout d’abord un bel objet aux allures un peu surannées. Sa couverture épaisse se distingue par son grain tissé qui rappelle les livres de notre enfance. Le choix du papier va dans le même sens, avec son aspect vieilli.
Au-delà de cette première séduction, Laure Garancher a le mérite de s’intéresser à un point historique que nous connaissons peu, la présence coloniale en Chine au XIX°. Qui sait que l’Angleterre se livra à un trafic d’opium en Chine pour éponger le déficit de sa balance commerciale, alors que l’Empire des Indes n’était pas rentable ? Auparavant, la plante était essentiellement cultivée pour ses vertus médicinales, mais l’Europe contribua à en faire un poison néfaste pour la société chinoise qui se précipitait dans les fumeries.
Le récit se situe donc entre ce que l’on nomma les deux guerres de l’opium.
C’est en mars 1855 que nous découvrons Mei Ju sur le marché de Canton. Elle travaille alors pour un Anglais, Sir Elron qui se livre au commerce de cette drogue rendu difficile depuis l’interdiction promulguée par l’empereur Yong Zhen en 1729. Entre deux jérémiades, le maître sait apprécier la beauté de la jeune chinoise qui a heureusement les armes pour échapper à ses élans.
La narration s’appuie alors sur des analepses pour évoquer l’enfance de Mei Ju et de sa sœur jumelle Mei Yun, ainsi que leur éducation orchestrée par un père soucieux d’en découdre avec l’ennemi occidental et de faire de ses filles des espionnes au service de l’empire. Conçu comme une formation à la revanche, ce temps d’apprentissage s’organise entre leçons d’anglais et cours de Kung Fu intensifs alors que Mei Ju aspirerait à cultiver son don pour le dessin. Il s’agit d’en faire des femmes fortes et éclairées, et non des épouses modèles.

« Tu maîtrises tous les aspects de la politique chinoise et britannique. Il est temps que tu accomplisses ta première mission… »

Jolies comme elles sont, poursuivront-elles un parcours aussi rectiligne, loin du monde du cœur ? Quelle place tiendra William Mac Leon, jeune peintre en quête d’inspiration vraie ?

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Laure Garancher réussit assurément son pari de nous intéresser à la période en conjuguant savamment intrigue politique, espionnage, analyses psychologiques et histoire d’amour. Elle nous offre ainsi deux portraits de femmes aussi contrastés que le pays. Elle porte aussi un regard intelligent sur la loyauté qui peut lier un père et une fille et sur le poids que l’éducation peut avoir sur un destin. Sans sombrer dans un exotisme de pacotille, elle nous transpose notamment par le détail de son graphisme, dans une Chine ancienne entre « zénitude » et conflit, sans oublier pour autant une certaine sensualité. Son trait emprunte beaucoup aux estampes et à la xylogravure, tandis que la mise en couleur d’Nguyen Thanh Phong contribue à l’authenticité charmante de l’album.

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Lecture effectuée dans le cadre de la-bd-de-la-semaine hébergée cette semaine chez Stéphie du blog Mille et une frasques

Vous pouvez découvrir l’avis de Noukette ici.

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