Pour notre plus grand plaisir 12 artistes Mauriciens et Malgaches se sont réunis autour de ce projet : redonner vie aux contes de Malcom de Chazal à travers une adaptation BD.
L’album s’ouvre sur une préface hommage signée de Robert Furlong qui voue une bonne partie de son existence à la Fondation Malcom de Chazal. Il s’agit de rappeler combien cet auteur prolixe aborda tous les genres, littéraires ou non, et s’offrit une incursion remarquable dans le domaine de la peinture. Celui que les Surréalistes considéraient comme un génie, avait aussi développé une mythologie et une poétique personnelles, imaginant que Maurice appartenait à un continent ancien, la Lémurie, habité des géants télépathes.
Ces contes, créés oralement à partir de 1957, ont pour cadre Le Morne, une commune du sud ouest de l’Ile dominée par une superbe montagne. Ils se présentent comme un voyage en féérie, au-delà parfois de toute rationalité, ce qui n’est pas pour gêner les plus jeunes, toujours prompts à se laisser porter par les imaginaires les plus surprenants. Et ce qui est certain, c’est que Malcom de Chazal, qui semble avoir conservé son âme d’enfant, se plait à enfreindre les frontières de la raison sans jamais la perdre complètement de vue si m’on en croit le questionnement final de « Mafut le serin ».
Ce premier opus rassemble 8 textes aux sujets et aux tonalités variés.
Dans « Mafut de serin », servi par Christophe Cassiau-Haurie et Pov, nous prenons une leçon d’humanisme grâce à un oiseau doué de parole et de bien d’autres pouvoirs. Le dessin, qui n’est pas sans rappeler, dans les premières planches, l’ambiance de la conquête du grand ouest américain flirte aussi avec un certain onirisme et s’appuie sur des contrastes de couleurs et de cadrages originaux.
Avec « Les sirènes de Morne Plage », Thierry Permal mêle dans une vision joliment poétique le quotidien des pêcheurs à ces mythiques créatures féminines qui hantent les mers. Un garçonnet questionne son entourage sur la meilleure manière d’attraper de nombreux poissons et découvre qu’il faut finalement viser la lune. J’avoue que je suis très sensible à la métaphore et à la portée symbolique du texte.
Christophe Cassiau-Haurie et Evan Sohun évoquent ensuite « Le poisson qui marchait sur terre » dans une atmosphère aux tons pastels. Mais ne vous laissez pas bercer par cette douceur apparente, certaines créatures gracieuses et mystérieuses, ne sont pas toujours bienveillantes.
Avec Umar Timol et Dwa, une table n’est pas toujours une table ; il arrive en effet que les objets échappent un temps à leur fonction et au contrôle des humains.
Stanley Harmon met en œuvre une « Roche qui était un petit oiseau » et nous invite à nous méfier des apparences. Il s’appuie sur un graphisme très dynamique renchéri par un choix de couleurs très modernes. Et si vous observez finement le dessin, vous découvrirez sans doute le conteur lui-même. C’est d’ailleurs un fil conducteur à travers l’album que cette mise en abyme de l’auteur.
Munavvar Namdarkhan nous plonge dans un tout autre univers avec ses planches en noir et blanc et un style élégant et très épuré. Ces choix soutiennent à la perfection le scénario de Christophe Cassiau-Haurie qui met la jeune et capricieuse Kayam aux prises avec une étrange théière et un Dieu qui refuse de s’en laisser conter.
Dwa, Tojo et C. Cassiau-Haurie, nous invitent à découvrir « Poutouk le nain », dans un château mystérieux. C’est un vrai privilège, sachez-le, puisque ces nains sont d’ordinaires invisibles pour les grandes personnes qui ont perdu leur âme d’enfant.
L’album se clôt sur un « arbre qui vole » et les planches presque muettes de Farahaingo et Elanni & Djali, une ambiance particulièrement onirique dans des camaïeux de bleus et de verts.
Si c’est une lecture à partager sans modération avec ses enfants, l’adulte pourra aussi y prendre plaisir et retrouver un temps son âme enfantine. La fantaisie de Malcom de Chazal et la diversité des univers graphiques et scénaristiques qui se côtoient sont un vrai remède contre l’ennui et la morosité.
Bravo à toute l’équipe !