Alors que le mois de mars est traditionnellement le temps des poètes et de la poésie, L’Institut Français de Maurice a rendu hommage le 30 mars à Vinod, Rughoonundun, grand magicien des mots d’origine mauricienne, disparu en août dernier.
Le lancement de « Manama les mots oubliés », (publication posthume) fut l’occasion d’une rétrospective sur sa vie, orchestrée avec beaucoup d’élégance par Brigitte Masson. J’ai apprécié à sa juste valeur de pouvoir entendre cet homme, manifestement généreux, s’exprimer au sujet de son écriture, de la poésie en général, de la vie tout simplement parfois aussi grâce à des projections vidéo.
La soirée fut ponctuée de lectures, belles, émouvantes, frustrantes aussi puisque ses œuvres ne sont hélas plus éditées. La magie de « Mémoire d’étoile de mer » nous invitait à une communion quasi mystique avec les éléments, et plus particulièrement la mer. Une mer qui dit toute l’insularité de Maurice, de sa population, et de nombre de ses productions. Une mer lénifiante et violente à la fois. Les mots m’embarquaient, et tandis qu’on les égrenait, je me baladais virtuellement sur les bords sauvages de la côte sud. La sensualité de « Chair de toi », la puissance du texte, offrait d’autres images, instinctives, presque primitives, au sens le plus élogieux du terme. Désir, chair, corps se mêlaient et s’entremêlaient simplement, sans tabou aucun.
Le public put aussi goûter à la truculence des « Daïnes », un recueil de nouvelles inspirées par une observation fine, humoristique et décalée de Maurice.
Mais le rire céda bien vite à l’émotion lorsqu’Anooradha, fille du poète mais aussi femme de théâtre talentueuse, s’est emparé de l’espace pour nous dire, nous offrir, « Manama les mots oubliés », ce dernier long texte de Vinod qui s’impose comme un legs littéraire empreint de la plus grande humanité.
Vient donc le moment délicat de partager avec vous mes impressions sur cet incroyable poème édité par La Maison des Mécènes.
Manama c’est d’abord un très bel objet livre, sobre, élégant, original aussi par son format aux allures de dépliant et par ses petits détails. Le design de toolBox est une réussite.
Il contient deux opuscules, qui se déplient comme une carte qui nous inviterait à un voyage en poésie. Le premier comprend une préface d’Ananda Devi dont je citerai ces quelques mots :
« ce poème qui signe, avec un soupir, avec un cri, à la fois un torrent et une accalmie, sa dernière offrande ».
Comme toujours, chaque mot d’Ananda est pesé, soigneusement choisi, lourd de sens, de douleur, d’émotion. Chaque mot est ESSENTIEL et susurre l’indicible.
Cette préface est émaillée de citations manuscrites du poète, des mots qui nous rappellent l’éternité promise aux poètes. Je choisis volontairement ce terme là, ETERNITE, parce qu’à l’écoute du texte, j’ai aussitôt songé à Rimbaud, à son Bateau ivre et surtout à sa « Saison en enfer », à cette quête de la quintessence du monde.
L’autre face, nous permet de découvrir les conceptions poétiques de l’auteur : sons, rythme, images, truchement des mots, monde des possibles, puissance de suggestion, plurivocité…
Puis vient le texte…
Il est toujours difficile de rendre compte d’une lecture poétique, surtout si l’on ne veut pas sombrer dans l’explication de texte. La poésie cela s’écoute, cela se savoure, et même si je l’enseigne et si je la décortique, j’aime surtout me laisser bercer par sa musique.
C’est ce qui frappe d’abord, dans « Manama », cette musique, cet incroyable sens du rythme qui bat les mots et qui nous ballotte d’une émotion à l’autre, qui confine aussi à l’incantation
« manama manama ».
J’aime ces mots qui reviennent par deux, par trois, ou plus, qui martèlent nos sens au fil du texte, qui nous envoutent.
J’aime leur précision, leur puissance évocatrice, cette valse des sonorités :
« je les extirpe ces mots engourdis par des années silence
ces mots énigmes que personne ne lira »
Mais si, Monsieur Rughoonundun, soyez bien persuadé que nous les lisons et que nous les liront encore. Nous nous en délecterons. Nous nous en abreuverons!
Ce sont de mots-images qui conjuguent une authenticité extrêmement émouvante à un ton presque épique. Plus exactement, il nous semble pénétrer à pas feutrés dans la mythologie personnelle de l’auteur :
« jour après jour je creuse le tracé des origines
remonter à la source du flot lumineux
et ce tourbillon d’où naissent les consciences »
« seuls les battements du cœur rythment ce noir cosmique
lumière ravalée jusqu’au plus profond d’elle-même
violence de la parole éteinte sur les contreforts de tous les silences »
On avance dans la lecture comme au bord d’un précipice. On perçoit bien la profondeur des mots, les abymes du poète, sa douleur, abyssale. On comprend son amour aussi, des siens, des mots. Il voulait cueillir le soleil, effacer la noirceur du monde, lui donner les couleurs de la poésie. Il s’épuise.
Vinod Rughoorundun est incontestablement de cette race des voleurs de feu, quelquefois incompris peut-être dans leur générosité, mais tellement essentiels !
La soirée fut sublime dans le sens le plus noble du terme. Il suffisait de mesurer la teneur de ce silence après la mise en voix d’Anooradha pour s’en convaincre. Ma lecture silencieuse aussi, et je pense que « Manama » n’a pas fini de m’accompagner.
« prend un peu de mon parfum
prends-en je t’en prie
[…]
que mon parfum te soit lumière du soleil tamarin
pour éclairer ta route »
Je ne connaissais pas mais ton billet donne vraiment envie de découvrir cet auteur.
Merci du partage.
Bises de Capp
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Seul son dernier texte, Manama, est disponible à Maurice uniquement. Les autres sont hélas épuisés. Mais je peux te ramener le dernier. Bises ma Capp!
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Avec plaisir ! Tu viens cet été ? Bises de Capp
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