Me revoilà avec une nouvelle participation à l’atelier de Leil du blog Bricabook, intitulée Mauvaise pioche.
Il s’agissait cette semaine de laisser aller son imagination sur un cliché de Julien Ribot.
La ville tentaculaire autour de lui hurlait, assourdissante. Elle s’étalait tel un poulpe monstrueux, avide de la moindre parcelle de terre. Le ciel, bas et lourd, s’imposait comme une menace. Le temps était à la grisaille, les jours de Georges aussi. Les fumées toxiques l’emportaient sur les choux et les carottes. Les betteraves devenaient rares. Les zones résidentielles avaient envahi les vieux bois, les framboises sauvages n’étaient plus qu’un mythe. Un golf avait grignoté les prairies avoisinantes depuis trois étés déjà. Forcément il avait aussi fallu des hôtels pour les golfeurs, puis des voies d’accès, une autoroute. Adieu chemin de halage en bord de rivière! Oubliés aussi les chemins vicinaux, la cueillette des noisettes et les baisers volés derrière les marronniers! D’ailleurs Bernadette avait rompu… Une antenne relais défigurait le paysage sans parler de la pollution sonore de tous ces visiteurs qui piaillaient sur les trottoirs et dans les cafés. Plus moyen d’être tranquille! Georges écumait de rage et d’impuissance devant le vrombissement des pelleteuses qui approchaient.
Il avait pourtant tout tenté, notre paysan. Multiplié les interventions sauvages au conseil municipal, écrit des lettres à toutes les administrations et autres autorités. Il s’était même fendu de formules de politesse, ce qui n’est vraiment pas son style. Mais il avait tant à perdre. Son combat fut d’abord solitaire, un véritable acte de résistance. Il avait lu sur internet que les actions spectaculaires s’avéraient plus efficaces. Il s’était donc, à sa plus grande honte, enchaîné nu au portail de l’hôtel de ville puis sur les rails du TGV. Ca oui, on avait parlé de lui! Sur toutes les chaines de télévision locale. Résultat, sa mère le reniait tandis que sa boîte aux lettres dégorgeait un courrier du cœur nauséabond. Pour être honnête, il devait bien avouer quand même qu’il s’était livré à une petite sélection prometteuse… En dernier ressort, il avait rencontré José Bové, un sacré vendu celui-là! Son inscription à la cellule écologique du coin n’avait guère porté ses fruits non plus. Le groupe industriel qui visait ces dernières terres avait proposé de telles indemnisations que les rats avaient tour à tour quitté le navire.
Les pieds dans la gadoue en bordure de sa propriété, il ne savait plus à quel saint se vouer. Comment empêcher l’inexorable? Le spectacle mortifère de ce dernier acte? Toute la nuit il avait espéré un coup de théâtre. Un renoncement humaniste. Un sursaut écologique. L’entrée en scène d’un acteur inattendu. Un krach boursier qui aurait empêché le virement de cette maudite somme, aussi monstrueuse que le sacrifice qu’on exigeait de lui. « De quoi vivre heureux au soleil jusqu’à la fin de vos jours, Monsieur Lenoir, vous imaginez?! ». Encore fallait-il pouvoir les atteindre les Tropiques! Ses yeux balayaient frénétiquement le terrain, à la recherche d’un espoir impossible tandis que le souffle lui manquait. Il devait évaluer les dégâts potentiels mais le temps lui était compté. D’ici une dizaine de minutes il aurait rendu les armes. Il se reprochait son assurance d’alors, son inconséquence. Comment avait-il pu se croire aussi malin?
Un premier tractopelle, suivi bientôt d’autres engins menaçants, le sortit de ses songes et brava sa parcelle. Leur chant macabre l’étourdissait. Les yeux écarquillés il assistait tétanisé au massacre de ses sillons toujours parfaitement tracés. Les dents acérées des machines se refermaient sur des blocs de terre comme un piège tragique. Dans un mouvement incessant et incroyablement sonore, ce balai d’Érinyes lacérait avidement le champ, creusait des tranchées. La gendarmerie, qui redoutait un ultime chahut des activistes locaux, s’était répandu aux abords et devisait gaiement. L’angoisse le tenaillait si fort qu’il ne l’entendit d’abord pas ce silence subit, étrange…cet abyme qui précéda les cris et l’agitation de la maréchaussée. Ce n’est que lorsqu’il aperçut une minuscule tâche, qu’il reconnut le vernis rouge des sandales de Bernadette, qu’il comprit que les carottes étaient définitivement cuites.
Quelle chute ! Et moi qui commençais à trouver le « bonhomme » fort sympathique ;-)… Bien joué !
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Merci Albertine! Il cache bien son jeu en effet… presque un enfant de choeur.
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oui ! super chute. bravo.
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ah je suis ravie!
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Un texte qui résonne avec l’actualité et certains combats pour sauver des parcelles de terre. Et j’aime également beaucoup ta chute !
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Merci Martine… pas envie de trop de gravité ces temps-ci!
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oh, j’adore ! Moi qui n’ai pas réussi à trouver l’inspiration, je vois qu’elle ne t’a pas épargnée !
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Oui l’idée m’est venue dès que j’ai vu la photo pour une fois!
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Hahaha ! J’adore ce genre de fin 😉
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Moi aussi Estelle!
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aïe la chute! tout au long du texte on se chante « La maison près de la fontaine », de Nino Ferrer, et puis PAF!
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C’est bien ce PAF que je cherchais.
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Mais oui bien sur!!!!Comme quoi il aurait mieux fait d’aller cacher le corps dans un coin du terrain de golf!!…..J’ai trouvé les images magnifiques mais je n’arrivais pas à trouver cet homme sympathique!…..
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Merci Bénédicte! Je finis de lire vos textes demain. J’ai du faire en deux fois cette semaine, trop de travail.
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Quelle chute ! On l’aurait presque cru sympathique cet homme.
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Il cache bien son jeu en effet!
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oh la la mais c’est terrible. Georges, qu’as-tu fait ?
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Eh oui, Goerges n’est pas un gentil garçon.
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Toujours épaté par ton sens de la mise en scène, @Sabariscon. La chûte et la phrase qui l’amène sont tout bonnement extraordinaire ! Du grand art 🙂
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Roooooooooooh !!! Comme ton Georges et le mien avaient des similitudes, j’étais à fond pour notre Georges, mais … la chute m’a bien eue ! Bravo ! D’autant plus que le texte fourmille de richesses, comme tu sais si bien le faire. 😉
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