Allez, après quelques semaines d’absence, je signe aujourd’hui mon retour à l’atelier de Leil, du blog Bricabook.
Le principe en est toujours le même: écrire le texte de son choix sur la photographie de la semaine. Le clcihé de cette semaine, signé par Vincent Héquet, invitait au détournement.
Voici donc ma participation:
Une forte pression du pied droit sur le couvercle de la dernière valise lui permit de mettre un terme à l’opération bagages. La force d’inertie de Rose, son épouse, l’agaçait prodigieusement. Elle n’avait pas levé le petit doigt tandis qu’il était confronté à l’agencement des affaires de chacun dans ces différents contenants manifestement trop exigus. Le prof de math qu’il était avait revu ses théories sur le principe des vases communicants. Elle l’avait honteusement laissé batailler avec les enfants lorsqu’il avait fallu faire des choix. Elle avait même eu comme un sourire narquois lorsqu’il était entré en négociation avec Lily pour une sombre histoire de vernis à ongle. Avait-elle besoin d’autant de couleurs pour un séjour de quinze jours? Non, vraiment, elle l’avait irrité. Mais il savait qu’il n’était pas en position favorable pour le lui faire remarquer. Courbe l’échine Bob, adopte un profil bas et affiche l’air ravi de celui qui s’investit dans le bonheur familial.
Il vérifia les passeports, les billets, insista pour que Lily, leur ado récalcitrante, coupe enfin cette connexion et range son laptop. Matt avait abandonné la Playstation, mais le bruit de sa balle qui rebondissait dans un bruit assourdissant toutes les 20 secondes contre le mur du salon le rendait fou. Rose mettait une touche finale à sa french manucure. Cela s’imposait sans doute pour un voyage à Paris. La contemplation inquiète de son petit monde lui donnait des sueurs froides. Il aurait voulu reculer, fuir, mais sa lâcheté le poussait en avant. Plus exactement, elle le cantonnait dans un statu quo dont il fallait sauver les meubles et les apparences.
La transhumance se déroula presque paisiblement, à ceci près que Bob se sentit un peu ridicule. Pousser leur chariot dangereusement pléthorique ne lui posait pas de problème, non. Mais porter en bandoulière le vanity flashy de sa femme lui semblait une atteinte à sa virilité. C’était primordial pour Bob, sa virilité. Il comprenait mal l’origine de cette obsession. S’agissait-il de compenser une taille médiocre? Une enfance aux côtés d’une mère un tantinet castratrice? Tout ce qu’il savait, c’est que s’il en était là aujourd’hui, à déambuler dans l’aéroport Kennedy, à la recherche des guichets d’une compagnie low cost, un sac « I’m proud to be a pretty girl » sur l’épaule, c’était précisément à cause d’une sombre affaire de virilité.
Rose n’avait pas franchement été séduite par le choix de la compagnie. Entre le manque de confort, la ponctualité aléatoire et les franchises bagages réduites, le voyage s’annonçait pénible. Elle ne pouvait pas s’empêcher de se sentir déclassée, comme s’il y avait un rapport de cause à effet entre la personne et le transport emprunté. Elle méritait mieux. Sa mère le lui avait d’ailleurs seriné lorsqu’elle lui avait présenté Bob… Mais les perspectives parisiennes, le boulevard Haussmann, les fameuses galeries, la Tour Eiffel…l’avaient finalement convaincue. Sans compter qu’au Musée Grévin, elle pourrait faire des selfies avec Alain Delon, Claude François et Stromae!
Engoncés dans des sièges relativement étroits, les membres de la famille Bradshaw envisageaient leurs vacances chacun à leur manière. Lily, coupée du monde les écouteurs sur les oreilles, appliquait une couche de top coat sur son vernis noir pailleté. Sur des airs d’un rock plus métallique que jamais, elle se remémorait toutes les bonnes adresses que ses amies lui avaient refilées. Le quartier République recélait parait-il des miracles gothiques et des boutiques kawai très sympa. Matt se promenait déjà dans les gradins du stade de France. Avec un peu de chance il pourrait gagner quelques autographes. Rose s’interrogeait sur la taille de la salle de bain de l’hôtel. Elle espérait que le soleil serait suffisant pour lui permettre de profiter de la terrasse de la chambre. Bob lui avait promis un balcon. Rien que le nom de la Résidence Beausoleil laissait entrevoir une terre promise. Des promesses, Bob lui en avait faites aussi. Elle voulait bien oublier, ou plus exactement feindre d’oublier, mais elle était fermement décidée à le faire payer. Son abnégation et ses trous de mémoire seraient à la hauteur des sacrifices et autres petites vexations qu’elle lui infligerait. C’était le prix à payer! Les boutiques des Champs Elysées défilaient dans son esprit mesquin à la vitesse de la lumière.
Bob, les faisait déjà les comptes. Ses pensées prenaient même un tour vertigineux quand il songeait à la gestion de ses aventures. Si seulement il n’avait pas été aussi stupide pour laisser traîner des pièces à conviction dans son cartable. Il avait déjà eu du mal à se disculper lors de la découverte d’un sms douteux … mais il avait été délicat de trouver un argumentaire raisonnable et convaincant lorsqu’un soutien gorge rouge s’était malencontreusement émancipé de la poche arrière. Le doute n’avait plus été possible, même pour une intelligence aussi molle que celle de son épouse. Les cris, les larmes, les menaces, les coups bas avaient rythmé son dernier trimestre. Ce voyage c’était tout ce qu’il avait trouvé pour y mettre un terme. Du moins, l’espérait-il. Il le savait, c’était les vacances de la dernière chance. Oublié le projet de séjour à Bali avec Babette, l’étudiante semeuse de désordre qui avait fichu sa vie en l’air. Jetée en l’air la coquette somme qu’il avait investie dans la réservation d’une suite nuptiale luxueuse, villégiature amoureuse en bord de mer. Il avait fallu faire les fonds de tiroir…. et pire encore. Le collier qu’il avait offert à Babette, en dédommagement, et en gage de son affection, avait achevé de mettre ses finances à mal. Heureusement, après presque 20 ans de mariage, on n’est plus dans la séduction à tout prix, même dans une entreprise de reconquête. Rose saurait certainement se satisfaire de cette location sur Airbnb qu’il ne lui avait pas encore confessée.
Séduire Babette s’était avéré plus complexe. Il avait fallu lui vendre du rêve. S’inscrire dans une salle de sport. Suer. Affermir ses abdos. Adopter un look plus branché, des tee-shirts tendances dont le prix avoisinait étonnamment celui d’une chemise de luxe. Renouer avec des jeans frangés, troués, sous l’œil circonspect d’une épouse naturellement suspicieuse et coincée. Broder des invitations à des colloques, tisser correctement le fil de ses mensonges, à l’une comme à l’autre, dissimuler les preuves, les tickets de restaurant, les factures d’hôtels et de bijoutiers… un art exténuant, dangereux, qui vous conduit inexorablement à la perte. On finit toujours démasqué, accablé par le poids atroce d’un indice insignifiant. Il n’avait jamais envisagé auparavant la capacité d’anéantissement d’un simple bout de dentelle, même rouge. L’évocation du tissu le plongea dans des considérations subitement plus charnelles, des rêveries dont la rotondité et la fraicheur l’éloignaient de sa Rose, fripée par les ans et le poids des maternités.
Au petit matin frais, il rassembla ses esprits et leurs bagages, considéra d’un œil résigné le vanity toujours aussi girly, et mena sa tribu d’un pas alerte vers la station de taxi. Rose ne perçut pas le regard dubitatif du chauffeur lorsque son époux égrena, dans un français approximatif, l’adresse de leur villégiature. Bob se lança alors dans un exposé sémiotique autour du mot « banlieue », un espace nettement moins surfait que la Capitale qui leur permettrait de savourer au mieux les spécificités du « french way of life » qui aurait presque pu la convaincre. L’exotisme de St Denis semblait l’intriguer.
Mais lorsque la voiture se gara sur le parking chaotique de la Cité, au pied de la résidence Beausoleil, son instinct lui souffla au premier regard que la partie était résolument perdue. Les balcons, ridiculement petits, étaient tous exposés au nord.
N’hésitez pas à vous rendre chez Leil pour découvrir les pépites de la semaine!
Excellent! J’ai savouré chaque étape de cette histoire.
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Je me suis vraiment amusée à l’écrire.
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J’ai adoré, tes personnages sont drôlissimes!
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Merci louis eet bienvenue sur le blog!
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J’adore ton histoire, les détails qui tuent comme le soutien-gorge baladeur ou le vanity girly ! Ce texte est un régal !
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Merci beaucoup Adrienne, c’est gentil!
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Je le savais, qu’il courait à sa perte (avec chariot et bagages) 🙂 !
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Oui tout partait en vrille dès le départ.
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excellent !
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Merci beaucoup Eva!
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J’ai tout bien aimé,je savais qu’il allait avoir des ennuis,sa petite famille n’est pas hyper sympathique alors tant pis pour elle,et j’ai savouré la cerise sur le gâteau »Les balcons,ridiculement petits,étaient tous exposés au Nord »….Je crains que ce ne soit pas la seule source de ses futurs problèmes!!!
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en effet!!!! Merci de ton commentaire gentil. J’ai décidé de tente run peu l’humour.
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Une image sombre détournée avec succès!
Ce texte est rempli d’anecdotes délectables 🙂
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J’y ai pris un certain plaisir en tout cas. Merci de ton passage ici.
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hahaha! bon texte!
le french way of life, c’est aussi ça (pour bon nombre) 🙂
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je suis ravie de t’avoir amusée.
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Contente de retrouver ta plume Sabine ! J’ai beaucoup aimé l’histoire de ton texte, les petits détails savoureux de la famille et des conquêtes de ce sacré Bob ! Je crains que les vacances ne soient pas celles que la famille et lui-même espéraient mais bon, so is life 😉 Bravo en tout cas 😉
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Merci pour ton commentaire si chaleureux Nady. Vacances en Asie obligent durant presque 3 semaines, je ne pouvais pas écrire.Je suis contente que le texte te plaise… j’ai pris du plaisir à l’écrire.
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Waouuu ! super pour tes vacances ! tu dois être Zen en ce début d’année 😉 bises et beau week-end
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Ouaiiiiiiiiiiis ton retour, j’adore, encore meilleur que d’habitude ! Une belle légèreté ! (que j’aime lire, tu t’en doutes ! )
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Décidément quand ça ne veut pas, ça ne veut pas 😉 sacrée galerie de personnages, la chute finale m’à bien fait rire 🙂
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