Journaliste, écrivain et réalisateur, Alain Gordon-Gentil signe cette année un nouveau film documentaire. Après l’histoire de l’immigration à Maurice, Brel ou Gandhi, il s’intéresse cette fois à Gaëtan Duval, un homme dont l’existence se confond en grande partie avec celle de sa terre, l’île Maurice. Mêlant images d’archives souvent émouvantes (notamment celles de la fête d’Indépendance au Champ de Mars), interviews de ses proches mais aussi de certains de ses détracteurs, Alain Gordon-Gentil retrace le parcours de celui qu’on nomma parfois « l’enfant terrible de Maurice » : l’enfance à Grand Gaube, la scolarité au Collège Royal de Curepipe, sa formation universitaire en Europe, le cheminement politique, notamment aux côtés de Jules Koenig.
Je n’ai sans doute pas le recul historique nécessaire pour mesurer l’objectivité du réalisateur, il me semble cependant qu’il nous livre un portrait sans concession et pourtant empreint d’humanité.
L’enjeu pour Alain Gordon-Gentil est triple : préserver la mémoire du pays, retracer à travers cette vie-là un pan de l’histoire de Maurice, et nous livrer l’homme dans sa grande complexité, confronté à ses réussites et à ses erreurs.
Le récit s’ouvre sur une petite musique qui n’est pas sans rappeler, pour mon plus grand plaisir, le jingle des Actualités d’Antan, puis sur les obsèques impressionnantes de cet individu au charisme exceptionnel, « ce grand arbre » que l’on imaginait indéracinable et pourtant tombé au milieu de la forêt.
Plus qu’un film politique, Alain Gordon-Gentil nous propose un portrait centré sur l’homme, ses actes, ses paroles, ses décisions et parfois ses volte-face. L’histoire d’un seul rejoint ainsi l’Histoire collective et lui insuffle parfois ses orientations. C’est le « style Duval » qui s’affiche durant une heure trente, son intérêt pour les plus faibles, son leadership, son goût des autres, son besoin d’être aimé. Duval brise les codes, harangue les foules, sillonne les routes en voiture de sport et conduit ainsi, à sa façon, le pays nouveau vers la modernité.
Outre son action politique, Alain Gordon-Gentil retrace aussi son combat pour la défense de la langue française, ce qui ne pouvait pas me laisser indifférente évidemment.
Ce film bien rythmé, riche et documenté m’a permis d’y voir plus clair dans l’histoire des partis politiques mauriciens et de mieux mesurer l’incroyable construction de Maurice ces cinquante dernières années. J’ai aussi découvert un homme passionnant, ce « roi créole » qui valut à Presley l’interdiction à Maurice de son succès « King creol ». Le traitement, en filigrane de la question des identités et du multiculturalisme mauricien nous invite aussi à une belle réflexion.
Ne ratez pas la sortie en salle le 10 octobre de cette enquête qui donne tout son sens à l’épitaphe de Gaëtan Duval : « Passant, ne pleure pas. Je ne suis pas mort, je fais semblant. »,