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« Une métamorphose iranienne », Mana Neyestani, Arte Edit°, 2012


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A l’heure où la question des réfugiés se fait brûlante et divise, je vous conseille ardemment cet album autobiographique de Mana Neyestani. Son épopée à travers la planète pousse à la réflexion.

Nous le rencontrons à Ankara, un jour de novembre 2006 dans les bureaux de l’UNHCR. Dans l’espoir d’obtenir enfin le statut de réfugié politique après plusieurs années d’errance, il peine à faire tenir son histoire dans le cadre destiné à cet effet.

Aussi inouï que cela puisse paraître, tout a commencé avec un cafard. Pourtant, quand ce spécialiste du dessin politique s’est retrouvé sans emploi en 2004 en raison de la censure et de l’interdiction de 17 journaux, il envisageait sa reconversion dans la littérature et la presse jeunesse comme un long fleuve tranquille. Sa seule mission consistait à proposer au journal Iran Jomeh un sujet de satire ou de science chaque week-end.

Ce jour là, il pensait tenir une histoire drôle : comment Soheil allait-il lutter contre un cafard ? Il était loin d’imaginer combien l’insecte allait hanter ses jours et ses nuits des années durant ! C’était sans compter sur les sensibilités ethniques qui considèrent d’un mauvais œil l’emploi du terme azéri « Namara ».  L’usage courant de ce mot n’empêche pas la branche turque du pays d’y voir une injure et Mana se trouve confronté, bien malgré lui, à une véritable affaire d’Etat.  Manifestations, troubles croissants en Azerbaïdjan, dégâts économiques importants et morts enflamment le pays et les tribunaux. Notre dessinateur se voit ainsi bien vite convoqué chez le juge. Tout le monde a bien conscience qu’il n’a enfreint aucune loi, mais il représente incontestablement un danger pour la sécurité intérieure. Dans ce type de dictature, la convocation équivaut rapidement à une accusation. Le régime, par ailleurs, « maintient un chaos calculé pour assurer sa survie ». Il n’en faut pas plus pour plonger Neyestani dans une situation aussi kafkaïenne que cruelle, comme si ce cafard le poursuivait.

Ce témoignage est évidemment du plus haut intérêt mais son traitement, qui sait dépasser la simple gravité et le pathos, confère au scénario des allures de thriller. Le suspense et l’humour dont ne se départit jamais l’auteur, ainsi que les allusions à Kakfa se conjuguent délicieusement avec les questions de fond. Mana Neyastani parvient à sublimer son expérience et à lui donner l’ampleur d’une fiction.

L’inventivité du dessin est à la hauteur de celle du  scénario : au menu mises en abyme, jeu avec les plans et les cadrages, allusions visuelles et, in fine, réécriture. Le noir et blanc sied particulièrement bien à la situation de ce dessinateur réduit à passer le temps avec des feuilles et un style dans une cellule de 3 mètres par deux. La qualité du trait, héritée de la caricature dont il sait s’émanciper aussi, est fort appréciable.

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22 réflexions au sujet de “« Une métamorphose iranienne », Mana Neyestani, Arte Edit°, 2012”

  1. Très bel album que j’avais dévoré également.
    En revanche, pour le scénario aux « allures de thriller », je suis un peu moins d’accord avec toi. Certes il y a la tension liée au contexte, la pression exercée sur l’auteur, les revirements de décision des instances (politiques, armée…) mais je n’aurais pas osé la même comparaison que toi. Ton avis me donne du grain à moudre 🙂 😉

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    1. Thriller n’est peut-être approprié à 100 % mais je ne trouvais pas d’autre mot. Forte intensité dramatique dans un contexte policier , sorte de cavale etc…

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