Auteure francophone d’origine iranienne, Sorour Kasmaï choisit d’ancrer son roman dans une période charnière pour son pays: la chute du Shah et l’instauration de la Révolution islamique.
Entre espoirs et angoisses, Téhéran connaît alors un certain chaos: les religieux sont suspicieux, les miliciens nombreux, les murs ont des yeux et des oreilles, les arrestations se multiplient, les exécutions aussi. Chacun est sur le qui-vive, dans la crainte des médisants. Tous agissent dans la crainte d’être vus.
Certains croient au renouveau et s’engagent. D’autres paient de leur vie sur le front de la guerre. D’autres encore se lamentent et cherchent à fuir face à ces « 2500 ans de règne glorieux des rois perses balayés tout juste par la Révolution ».
Pédar est de ceux-là, tout comme son ami Farzami. Voilà pour la toile de fond.
Le récit s’ouvre sur un incipit surprenant qui captive aussitôt son lecteur:
« J’appris ma mort un matin d’hiver. Le premier jour après la Révolution. »
La narratrice, Mariam, la fille de Pédar, cherche le livret de famille pour son père. Surprise par l’existence d’un duplicata de ce document, elle le feuillette et fait une bien curieuse découverte:
« Mon prénom y figurait en bonne place, Mariam…Un peu plus bas, il se répétait à nouveau, Mariam…Mariam…avec deux dates de naissance différentes…Comment était-ce possible? Peut-on naître deux fois? Je comparai les deux dates. Serais-je née deux ans avant d’être née…? »
Ce qui lui semble plus suspect encore, c’est que la date de sa naissance coïncide avec celle de son décès.
Fermement décidée à percer ce mystère, Mariam n’a de cesse d’enquêter sur les circonstances de ces événements puis de changer de prénom. Sa quête identitaire menace cependant d’être difficile, entre la chape de plomb qui pèse sur certains secrets de famille et les arcanes de l’administration iranienne. A cela s’ajoutent les données religieuses et les légendes qui lui échappent totalement.
A l’entame de sa démarche, elle est loin de soupçonner, du haut de ses seize ans, combien d’existences elle va bouleverser dans ce climat politique et religieux brûlant. Elle vit ce changement de prénom comme la promesse d’une résurrection, mais cette promesse vire au cauchemar dès qu’elle côtoie le monde kafkaïen des administrations et autres tribunaux. Son cas intéresse, il est même d’une importance primordiale pour la Révolution. L’agent qui la reçoit se souvient en effet des paroles sibyllines du prophète: »
S’il reste un seul jour avant la fin du monde, ce jour durera cent mille ans s’il le faut pour qu’un homme de ma descendance se lève et ressuscite les morts. »
Sorour Kasmaï, qui mêle les époques, le récit, les extraits de correspondance et les textes légendaire sou historiques, tisse alors ainsi une intrigue complexe et quelquefois âpre à suivre pour un lecteur non initié par exemple au culte zoroastrien. J’ai apprécié la réflexion sur l’identité, la quête de Mariam, le personnage de Zinate; j’ai aimé la road story dans les ries de Téhéran, l’évocation de cette ville, mais j’ai eu beaucoup de mal à accrocher avec ce fonds de croyances.