« Pablo, Tome 3, Matisse », de Julie Birmant et Clément Oubrerie, Dargaud , 2013
Poursuivons le récit des amours d’Amélie Lang, alias Fernande Olivier, et de Pablo Picasso, toujours avide de se faire un nom. Loin du Paris de 1900 , les deux amants sillonnent la France puis l’Espagne. Il faut d’abord assumer l’inconfort des trains, les aléas des rails, la barrière de la langue…Si c’est bien « au bout du monde » que les conduit cette odyssée, Fernande n’est pas au bout de ses surprises au fin fond de la Catalogne.
Pendant que Pablo fait les 400 coups avec l’aubergiste Fontdevila, elle se plonge dans le récit de son voyage à Tahiti par Gauguin…On peut établir bien des parallèles entre les deux artistes!
Sera-t-elle heureuse de retrouver Paris, les amis, la vie de bohème et leur antre du Bateau-Lavoir?
Dans cet album Pablo, en proie à une crise quasi mystique, s’imagine maudit de Dieu, et se cherche sous le regard parfois surpris de Max Jacob et de Gertrude Stein qui décide le présenter à Matisse. Il adopte de plus en plus souvent un ton visionnaire, comme s’il pouvait dépasser la surface des choses et pénétrer sous le voile des apparences.
« Matisse, il ressemblait autant à un artiste que Gertrude à une naïade. »
Nos deux auteurs restituent l’ambiance du Salon des Indépendants et des diners chez les Stein qui réunissent tout le gratin artistique de l’époque. On rivalise de talent, de discours narcissiques et de galanterie auprès des dames. La rue n’est pas en reste, surtout lorsqu’on y croise Apollinaire qui vient d’achever ses « Onze mille verges » ou Derain en possession d’un masque nègre, une Fang du Gabon, racheté à Vlaminck.
Mais ce nouvel opus met également en oeuvre un tournant dans la démarche artistique de Pablo. Comme habité par des forces extérieures, une étrange transcendance, il comprend qu’il lui revient d’inventer l’art moderne. Il lui faudra toutefois dépasser sa rivalité avec Matisse, qui non content d’avoir fait du charme à Fernande, trouve encore le moyen de faire un tabac avec son « Nu bleu, souvenir de Biskra » et d’empiéter sur ses plates-bandes.
Le scénario de Julie Birmant prolonge efficacement notre enchantement et prête vie à toute une époque, une atmosphère parfaitement soutenue par le dessin convaincant d’Oubrerie. Les personnages se font plus attachants et gagnent en épaisseur. Certaines planches, notamment celles consacrées à la lecture d’Apollinaire, sont superbes.