« Peste et choléra » de Patrick Deville, Seuil 2012
Publié dans la collection Fiction et Cie ce récit a été couronné du prix Femina en 2012.
C’est avec humour et poésie que Patrick Deville s’intéresse à l’existence d’Alexandre Yersin, l’un des piliers de la bande à Pasteur. Mêlant analepse et présent, il retrace l’odyssée de ce Suisse connu pour ses nombreuses découvertes scientifiques dont le vaccin contre la peste. Il lui rend ainsi un vibrant hommage.
Le récit s’ouvre sur le dernier voyage de Yersin jusqu’à Nha Trang, son fief vietnamien. C’est désormais « un homme presque chauve », qui a beaucoup vécu. Ce pionnier de l’aviation a 77 ans et fuit la France occupée par les Allemands en ces derniers jours de printemps 40. Il n’y a décidément rien de bon à tirer de ce XX° siècle, ce « siècle vaurien ». Comme à son habitude, il voyage avec son carnet et ses souvenirs se confondent avec le récit de Deville. Fils d’un entomologiste mort avant même sa naissance, il a dans ses gênes la passion de la science. Mais en ces temps troublés il s’interroge…Il se demande si tous ces progrès valaient la peine puisque « Partout les découvertes des pasteuriens servent à fabriquer des armes bactériologiques ».
Yersin n’a jamais rien fait comme tout le monde. Jeune étudiant en médecine, il préférait les cas pratiques et les lames de microscope à la théorie. Il refusa toujours d’appartenir à la moindre confrérie. Il ne tient pas en place, s’intéresse à tout, agit selon ses désirs et non selon une logique carriériste. Il rêve essentiellement de devenir le nouveau Livingstone. Plus vieux, sa misanthropie et son refus de recevoir les journalistes lui valent de voir son nom entouré d’une « légende noire »…et expliquent aussi sans doute pourquoi il s’impose comme le grand oublié du Nobel. Il s’est comme volontairement « retranché de l’Histoire ».
Il a 20 ans dans un monde en mutation : l’Europe se partage l’Afrique et l’Asie, l’antisémitisme s’installe, Pasteur vient de trouver comment sauver le petit Joseph Meister de la rage…mais la peste, elle, sévit toujours.
« Bientôt entre la peste et le choléra, il n’y aura plus à choisir, mais à guérir. »
Etudiant à Paris, il découvre l’anti germanisme d’une France qui ne digère pas son amputation de l’Alsace et la Lorraine. Il y rencontre Pasteur et s’impose vite comme son héritier putatif.
« Toute sa vie Yersin choisira ce qu’il y a de nouveau et d’absolument moderne ».
Sa thèse soutenue, il poursuit sa quête auprès de Koch (celui du bacille). Mais l’appel de l’Ailleurs est plus fort et Yersin s’installe à Saigon où il crée « quelque chose comme une communauté, un monastère laïc », soit une communauté scientifique et agricole, à Nah Trang.
Celui qui affirme que « Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger », sillonnera les mers et les airs, mais conservera toujours ce point d’ancrage vietnamien. Il a la bougeotte et n’a vraiment rien d’un rat de laboratoire ou de bibliothèque. Il a besoin du terrain, d’expériences en tout genre. Il les multiplie effectivement. Après sa découverte de la toxique diphtérique, nous le retrouvons embarqué comme médecine sur la ligne de Manille. Mais « il atteint vite les limites géographiques de ces pérégrinations » « cela pourrait devenir aussi pénible qu’un cours de microbie ». Il se fera aussi cartographe, explorateur. A Nah Trang il soigne gratuitement et devient pour tous « le bon docteur Nam ». « Toute sa vie, il essaiera de demeurer étranger à l’économie et à la politique ».
Et Deville qui établit un parallèle constant entre Yersin et Rimbaud, rapproche même ce personnage inouï de Moise ou de Noé. Il excellera aussi dans la culture et l’exploitation du caoutchouc, se débrouillera en mécanique.
« Pendant 40 ans, il choisira dans chaque endroit du monde, ce qu’il y a de plus beau dans la nature pour l’acheminer vers Nha Trang, les plantes et les animaux, les arbres et les fleurs. »
« Yersin est le démiurge d’un rêve éveillé qu’il réalise. »
Cet original solitaire est aussi un insatiable qui passe sa vie à apprendre, l’astronomie, l’agriculture, la physique et la chimie. Il étudie ainsi la fermentation du riz, les vertus analgésiques de l’opium. « Il faut toujours qu’il sache tout ». Il s’intéresse à tout mais demeure profondément désintéressé.
Il ne rompt jamais complètement avec l’Institut Pasteur et accepte régulièrement, lorsqu’on le prie beaucoup, certaines missions ou fonctions. On le retrouve aux côtés de Calmette, de Roux, de Doumer. Il est aussi parfois en concurrence avec d’autres chercheurs. Il sera ainsi celui qui se chargera de la construction et de l’ouverture de l’hôpital de Hanoi et de l’école de médecine.
Cette biographie, superbement écrite, nous permet de retracer aussi, au moins en partie, l’aventure de l’Institut Pasteur. Deville a l’art de raconter, mais il excelle aussi dans sa façon de nouer ce destin individuel à son époque. On peut aussi lire ce récit comme un bel hommage à la curiosité d’esprit. Toute sa vie Yersin garda un esprit ouvert à tout et il a toujours su raison garder.
Ma fille me l’a offert et j’ai beaucoup apprécié ce livre. Il m’a fallu un certain temps tout de même pour m’habituer au style de l’auteur, mais au bout de quelques pages, j’étais conquise.
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