« Le monstre » d’Umar Timol, L’Harmattan, Lettres de l’Océan Indien, 2013
Bien des cinéastes et des auteurs comme Boulle se sont interrogés sur ce que pourrait être l’homme après une catastrophe majeure, une apocalypse. Quelle part d’humanité lui resterait-il ? Comment appréhenderait-il sa survie ?
Umar Timol, auteur mauricien que je découvre à travers ce court roman, aborde à son tour cette thématique et nous en offre une variation poétique fort originale, « parfaitement politiquement incorrecte ».
Il situe son récit sur une île dévastée par une guerre nucléaire, à l’instar d’une bonne partie de la planète, une île que nous découvrons à travers une narration à la première personne. Le personnage a lui aussi atteint le point de catastrophe en ce qu’il semble avoir perdu toute humanité. Cet individu, qui menait une existence sereine et matérialiste, avec juste ce qu’il fallait d’égoïsme, s’impose désormais dans toute sa monstruosité.
« Je suis né un jour d’apocalypse, je suis né à la vraie vie un jour d’apocalypse. Je suis devenu un monstre un jour d’apocalypse. »
C’est comme une question de survie !
« Je suis la bête. Je suis le monstre. Et personne ne parviendra à me réconcilier avec un quelconque diktat. Je ne crois en rien. Ou si. Je crois en moi. Je suis l’objet de mon culte. Je me vénère. Je suis d’une seule limite, d’un seul interdit. Ma volonté. Ma volonté est loi. »
Horrifié par la capacité de destruction de l’homme, il s’efforce de devenir étranger à lui-même, de rompre à jamais avec ce qui lui reste d’humanité. Ceci passe par le refoulement de la mémoire, des moindres réminiscences qui sont « comme le bacille de la peste ». « Pour être il faut castrer la mémoire ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Il met cette monstruosité nouvelle au service de l’humanité, cherchant à décimer les autres survivants, à éradiquer la race humaine.
« Je ne veux plus être humain. Je suis l’autre. »
La seule qui trouve encore grâce à ses yeux pour l’instant, c’est cette étrange créature qu’il tient enfermée dans une cage dans l’espoir qu’elle lui ressemble un jour. Mais n’est pas un monstre qui veut, et notre narrateur a quelquefois de curieux relents d’humanité, notamment lorsqu’il se laisse aller à la cruauté la plus gratuite. Lui qui était accoutumé à profiter de la vie sans jamais se poser de questions, s’interroge sans discontinuer sur la mort, l’origine du Mal, ou la folie. Le récit prend ainsi la forme d’un long soliloque prenant tour à tour à témoin l’étrange créature, le lecteur, un survivant.
Umar Timol pose ainsi les questions essentielles et confine au mythe notamment parce qu’il mêle adroitement récit et poésie. Le jeu des leitmotive, des répétitions et des anaphores opère comme des litanies et traduit ce vertige effrayant dans lequel le personnage cherche à se perdre pour assurer sa mue. Le lecteur peut avoir le sentiment de s’y perdre, mais c’est peut-être juste une étape nécessaire, comme un rite de passage pour accéder à son tour à ce questionnement fondamental sur ce que nous sommes.