« Tuer le père » d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2011
Je suis restée quelques années sans lire Amélie Nothomb…J’aime beaucoup ses premiers romans, mais il me semblait qu’elle cédait à une certaine facilité.
Dans l’incipit, nous découvrons Amélie Nothomb, la narratrice dans une situation vaguement inattendue. En ce 6 octobre 2010, la voici qui « tape l’incruste » dans une fête organisée pour les 10 ans de L’Illégal, un club où l’on peut entre autres plaisirs s’adonner au poker. C’est une nuit de magie au sens propre du mot et de la magie au poker, il n’y a évidemment qu’un pas ! Elle observe une table, mais ses regards se concentrent surtout sur Joe Whip, en veine ce soir-là, et sur Norman Terence qui évite les regards du joueur tout en l’épiant sans relâche. Tous deux sont de grands magiciens américains qui entretiennent manifestement un certain passif.
Les ficelles sont grosses comme un gratte-ciel… Il y a de la triche dans l’air. Toutefois l’incipit est bien mené et suffisamment alléchant pour qu’on ait envie d’en apprendre plus sur l’histoire de ces deux-là.
Originaire de Reno, Joe pratique la magie depuis ses 8 ans… une passion qui lui a permis de survivre lorsque sa mère, consciente peut-être de sa monstruosité, l’a flanqué dehors l’année de ses 14 ans. Après une errance somme toute confortable à manier les cartes dans des hôtels, c’est finalement Norman et sa compagne Christine qui l’accueillent comme un fils.
« Il allait pouvoir redevenir un enfant. »
« Norman enseignait son art (la magie) à son élève ».
Nous voilà donc plongé en pleine dialectique du maître et du disciple, sans trop savoir lequel va finir par l’emporter. Cette relation implique aussi, dans le contexte d’une relation filiale, la dialectique du bien et du mal, qu’il convient de ne jamais perdre de vue quand on joue les illusionnistes ou les mentalistes. Comme le rappelle régulièrement Norman « Le but de la magie, c’est d’amener l’autre à douter du réel », mais il ne faut pas la confondre avec la triche. « la magie déforme la réalité dans l’intérêt de l’autre, afin de provoquer en lui un doute libérateur ; la triche déforme la réalité au détriment de l’autre, dans le but de lui voler son argent. ». Distinguer le bien du mal apparaît comme une impérieuse nécessité pour celui qui s’adonne à la magie et au poker.
Tous les 3 constituent donc ainsi une famille recomposée avec sa dose d’amour et de petits agacements…ses complexes aussi. Œdipe a la vie dure ! Christine qui est fire dancer, jongleuse de feu, ne laisse pas notre adolescent indifférent. Elle nourrit même bien des fantasmes …
« Fou amoureux de Christine, il se donnait ce haut motif pour castrer les années les plus sexuelles d’une vie humaine. »
Vous l’aurez compris, Amélie Nothomb revisite Freud, les complexes d’Oedipe mais aussi de Jocaste, et elle prend la peine de bien baliser le chemin du lecteur qui pourrait pourtant difficilement échapper à la référence.
Le jour de ses 18 ans, il peut enfin accompagner ses « parents » à Black Rock City pour assister au Burning Man, le plus grand festival de jongleurs de feu. Là encore, l’auteure file un peu lourdement la métaphore. Jouer avec le feu répond forcément à un désir de transgression et chacun va jouer avec les allumettes ou le LSD au risque de s’enflammer. Le festival se déroule en plein désert dans une ambiance que les hippies ne renieraient pas.
Ce festival, qui lui avait longtemps été refusé, constitue pour le jeune Joe comme un rite initiatique lui ouvrant la voie de l’émancipation. Il est temps pour lui de couper ce curieux cordon et d’aller œuvrer comme croupier au Bellagio de Las Végas…mais pas encore dans la Bobby’s Room, la salle où personne de joue moins d’un million de dollars. Sera-t-il digne du père et du maître??? Le titre du roman nous met presque trop sur la voie mais le mode opératoire surprendra le lecteur et le récit le tient finalement assez bien en haleine.
Malgré des défauts évidents et des ficelles trop ostentatoires, le roman est efficace au point que l’on se demande si les ficelles exhibées ne font pas partie du jeu …dans cette histoire, chacun se trouve finalement pris au piège de l’autre, et le lecteur n’est pas forcément le dernier à se faire avoir.
J’ai apprécié le roman qui aborde les questions de la famille, de la paternité, de la reconnaissance mais aussi de la folie et de la monstruosité. Plus encore, j’ai adhéré à cette déclinaison du Jeu.
Je n’ai pas aimé ce roman. Trop court, personnages antipathiques… je suis passée en bordure.
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Je n’ai pas trouvé le « père » antipathique moi, mais je suis assez d’accord avec toi sur le « survol » du thème. L’idée est intéressante mais on l’aimerait fouillée davantage.
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Je suis tout à fait d’accord avec toi !
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