« La fiancée syrienne » de Eran Riklis, 2004
Le film se déroule à Majdal Shams, un village très particulier à la frontière israélo-syrienne. C’est le plus grand village druze du Golan et c’est aussi une colonie israélienne si bien que les habitants, le plus souvent d’origine syrienne, sont dotés d’une nationalité indéterminée.
Comme le laisse supposer le titre, Mona doit se préparer. C’est le grand jour… et si l’événement est par définition particulier pour chacune d’entre nous, il l’est davantage pour cette jeune femme. Elle se rend « Chez Georges », le coiffeur, en compagnie de sa sœur Amal et de ses nièces, sillonnant les rues du village entre les tracteurs et les moutons…Elle revêt également une jolie robe blanche tandis qu’un cameraman la suit dans tous ses déplacements histoire d’immortaliser ce grand moment. Et pourtant c’est un jour triste pour Mona. Elle ne connaît encore son fiancé, vedette d’une série télévisée de Damas, que par l’intermédiaire du petit écran ; mais elle est impatiente de le découvrir. Elle doit le rejoindre de l’autre côté de la frontière syrienne dans la journée.
Mais c’est précisément cette frontière qui lui pose problème. La guerre israélo-syrienne n’en finissant pas, elle sait qu’une fois cette ligne de démarcation franchie elle ne pourra jamais plus remettre les pieds dans le village ni revoir les siens.
Outre la situation politique de ces colonies, Riklis aborde la question brûlante de la famille. Rien n’est simple chez Mona ! Son mariage, qui ne peut pourtant pas donner lieu à une grande fête réunissant les deux familles, conflit politique oblige, appelle ou rappelle à Majdal ses nombreux frères et sœurs. Armed, le père, est un activiste pro-syrien bien connu des autorités et étroitement surveillé par la police locale. On lui a interdit d’accompagner sa fille à la frontière. Il faut dire que le mariage est censé se dérouler le même jour qu’une grande manifestation de protestation des druzes du Golan. Nous sommes en juin 2000 et c’est aussi précisément le jour où Bachar El Assad accède au pouvoir et prête serment. La famille de Mona est très contrastée… Marwan, joli cœur aux affaires douteuses, arrive d’Italie tandis que le sérieux Hattem, marié à une médecin russe, rentre de Moscou. Ce dernier n’est pas vraiment le bienvenu…Le père a du mal à digérer son exil. Amal, quant à elle, gère quelques soucis avec Amin, son époux qui ne parvient pas à accepter les amours de sa fille avec le fils d’un pro-israelien. Shakespeare n’est pas loin ! On s’agite, on palabre, on se dispute, on s’embrouille et pourtant on s’aime.
Un mariage est toujours plus ou moins un rite de passage. On se voit doté d’un nouveau statut social, d’un nouveau nom, on entre officiellement dans une autre famille…Ici, ce rite se voit autrement matérialisé par le franchissement nécessaire de barbelés et de hautes barrières grillagées et par un moment d’attente en zone pacifiée sous l’égide de l’ONU . Il faut valider le laissez-passer. Aussi la situation peut-elle devenir cocasse et stressante lorsque les absurdités de l’administration s’en mêlent.
Outre l’intérêt de son sujet historico-politique, la réflexion sur les liens familiaux, la condition féminine et les fondements et la signification du mariage, le film de Riklis nous plonge dans un entre-deux assez fascinant où se pose la question de l’identité. Le tout est servi par la musique de Cyril Morin, oscillant entre Moyen-Orient et Occident, et par un casting efficace. Hiam Abbass incarne une Amal touchante dans son amour sororal mais aussi dans sa détermination, son désir d’émancipation qui cherche finalement à conjuguer avec son mari. Clara Khoury, qui interprète Mona, nous offre un jeu de regards intéressant. La photo de Michael Wiesweg, loin de nous proposer un exotisme malvenu, s’attarde sur la représentation de l’enfermement dans tous ses états. L’humour, la cocasserie de certaines scènes, notamment lorsque les personnages se parlent par mégaphones interposés de chaque côté de la frontière, offre un contrepoint efficace à la gravité du sujet. Enfin, la mise en abyme permise par le reportage sur le mariage, souligne intelligemment la profondeur de la tristesse et des interrogations de Mona. Malgré quelques légers défauts sans conséquences, le film, qui résulte du travail conjoint d’un réalisateur israélien et d’un scénariste palestinien, vaut le détour !