« Le cahier » d’Hana Makhmalbaf, 2007
Hana Makhmalbaf, jeune iranienne née à Téhéran en 1988, s’impose comme un prodige du septième art. Elle a signé son premier court métrage à l’âge de 10 ans, son premier documentaire à 13ans et son premier long métrage, « Le cahier », à 18. Elle s’inscrit ainsi dans les pas de son père, Mohsen Makhmalbaf, lui-même réalisateur et professeur de cinéma, mais aussi de sa belle-mère, de son frère et de sa sœur. Dans la famille Makhmalbaf, on vit pour le grand écran!
Ce premier film ne laissa pas le grand monde du ciné indifférent et remporta plusieurs prix dont :
– le Grand prix du Jury du festival de Saint-Sébastien en 2007
– l’Ours de cristal et le Prix spécial de la paix au festival du film de Berlin en 2008
– le prix spécial de l’Unicef Paolo Ungari au festival du film de Rome en 2007
– le Woman and equality Award au festival du film de Thessalonique
Le film se déroule à Bamiyan, un village afghan. La narration s’ouvre et se clôt sur des images d’archives rappelant la destruction des Bouddhas de Bamiyan, des statues géantes taillées à même le roc. Nous découvrons ensuite les personnages et leur quotidien dans ce village coincé entre montagnes arides et majestueuses, et déserts. Comme tous ses voisins, Bakhtay, une fillette de six ans, est troglodyte. Sa principale mission consiste à surveiller le bébé pendant que sa mère s’occupe de l’eau. Mais Abbas, le fils des voisins, à peine plus âgé qu’elle, vient perturber son horizon. Abbas sait lire, il passe son temps à déchiffrer et à réciter l’alphabet, ce qui l’intrigue fortement. Il finit par la mettre au défi d’aller à l’école aussi. Subjuguée, Bakhtay n’a plus qu’un désir: apprendre à lire des histoires drôles. Il faut dire que dans ce quotidien marqué par la guerre et un certain dénuement on peut avoir besoin, sinon de rire, au moins de sourire. Elle ignore cependant quelle épopée l’attend. Il lui faut d’abord partir en quête de 20 roupies pour s’acheter un cahier et de quoi écrire. Faute de crayon, le rouge à lèvres de sa mère, une denrée rare et magique à Bamiyan, devrait faire l’affaire. Livrée à elle-même, Bakhtay s’engage dans ce qui tient d’une quête du graal à travers les chemins escarpés de la montagne et les rues de la bourgade. C’est l’occasion pour la réalisatrice de porter un regard sans concession sur le quotidien afghan en ces temps guerriers. Tout est filmé avec une apparente simplicité, un peu comme dans un documentaire, mais les images sont belles et soigneusement choisies. La photographie de Mehrdad Zonnour et Ostad Ali, nous régale… comme dans un très beau livre. On passe des intérieurs troglodytes plus ou moins sombres à l’immensité des paysages, de la pompe à essence sortie de nulle part à la fraîcheur des bords de rivière, du forgeron à la boulangère avec le même plaisir. Le dépaysement est garanti. Les jeux de lumière illuminent sans conteste le spectateur, comme s’il s’agissait de lui ouvrir les yeux sur une réalité méconnue.
Le film est essentiellement centré sur les enfants, tous choisis dans le village afghan, ce qui les rend d’autant plus prodigieux. La petite Nikbakht Noruz (Bakhtay) et Abbas Alijome sont criants de vérité et absolument époustouflants. La réalisatrice sait vraiment tirer le meilleur d’eux-mêmes… Les gros plans, voire les très gros plans vous prennent aux tripes…les regards de ces deux gosses bousculent vos certitudes et vous interrogent. C’est un film dont on ne sort pas indemne. Abbas explique à Bakhtay qu’elle doit lire les mots et non les photos de son abécédaire. Hana Makhmalbaf, elle, nous invite véritablement à lire l’image!
Bakhtay trouvera-t-elle donc une solution pour acheter son cahier? Trouvera-t-elle l’école des filles? Sera-t-elle comblée? Est-on prêt à lui faire une place? L’école est-elle planche de salut? Qu’aura-t-elle appris de son périple?
Elle passe en effet plus de temps à chercher la classe qu’elle n’en passe sur un banc, notamment parce qu’elle rencontre en chemin un groupe de garçonnets qui ont pour seule occupation de jouer à la guerre et aux talibans. Pour eux, c’est une évidence, « Les filles ne vont pas à l’école » et Bakhtay se comporte comme une impie, une infidèle. On est vraiment loin des images d’Épinal et de l’enfance, heureux temps de l’innocence.
A travers ce conte cruel, Hana Makhmalbaf traite donc de l’inévitable imitation des adultes par leur progéniture et invite les adultes à réfléchir sur les répercussions de leur violence et de leurs agissements. Ainsi qu’elle l’explique dans une interview, la véritable école des enfants n’est pas celle où ils vont tous les jours. Elle aborde aussi la question de la mort, parfois préférable à une oppression continuelle qui revient à une mort lente, à une négation de la personne et de ses convictions, à une négation de ses besoins et de ses désirs. Abbas l’a compris, lui qui crie à plusieurs reprises à Bakhtay: « Fais la morte et tu seras libre! ». « Le Cahier » se regarde comme un film d’initiation, mais il est des apprentissages douloureux!
c’est super émouvant ce que tu en dis, et j’aimerai vraiment le voir … L’affiche est très belle, tout comme cette petite fille d’ailleurs! Je suis bien convaincue que c’est le genre d’œuvre qui ne peut pas laisser indifférent!
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J’ai effectivement connu une émotion rare du début à la fin… mon émotion a redoublé lorsque j’ai découvert la réalisatrice et ce qu’elle était capable d’expliquer à cet âge. Je vous conseille vraiment ce film ! C’est du très beau cinéma!
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