BD « Paroles de Poilus, lettres et carnets du front 1914-1918
d’après l’ouvrage de J-P Guéno et Yves Laplume paru chez Librio
Album conçu et coordonné par Jean Wacquet
Ecrit par J-P Guéno
Dessin de Thierry Démarez
Afin de participer à une autre défi organisé par Stéphie du blog Mille et une frasques, je me suis plongée dans cette adaptation BD très originale des fameuses lettres de Poilus.
L’ouvrage s’ouvre sur une sorte de préambule intitulé « Le rêve de Pétain », un jour de neige… une neige susceptible pour le Maréchal de « recouvrir la vermine, masquer la boue sanglante, laver les souffrances » « étouffer la plainte muette des blessés et des morts ». Le ton est donné! Pétain, très ressemblant, a demandé qu’on lui apporte des lettres de soldats qui soient représentatives de l’esprit de sacrifice et de la combattivité des soldats. Une vingtaine ont été sélectionnées à sa demande « pour leur moralité et leur patriotisme ». Il s’agit pour lui de dénicher les perles rares susceptibles de « symboler » la capacité de la nation à se relever et de poursuivre son œuvre de propagande.
J’ai beaucoup apprécié cette mise en scène et l’effet de chute qu’elle permet de ménager!!!!
La BD s’organise ensuite en plusieurs parties, chacune d’entre elles étant annoncée par un texte explicatif. Les lettres sont classées par saison, l’auteur s’autorisant un jeu entre le temps et les états d’âmes, le moral des troupes. C’est aussi une façon intéressante et originale de retracer les grandes étapes de cette longue guerre. Chacune des lettres sélectionnées est reproduite intégralement en préambule, avant d’être reprise sous forme de planche. Le tout est assorti d’une présentation du soldat et de sa situation. Certains documents iconographiques comme des photos des épouses ou des enfants ou de grands dessins de Gimenez ou Luidvine complètent cette mise en bouche.
Mais la très grande originalité de cet album réside dans les multiples variations du dessin. Démarez décline toutes les techniques et tous les styles, y compris pour les bulles. De la sorte, chaque lettre se distingue des autres et semble marquée par la personnalité de son auteur, sa situation et ses préoccupations. Cela évite aussi au lecteur d’avoir la sensation de s’enliser dans la boue noire des tranchées. Parfois chaque vignette se limite à un mot ou deux qui se lisent sur un mode totalement linéaire comme une lettre. Il arrive alors que les auteurs jouent sur un décalage entre le ton de la missive, qui se veut rassurant, et le dessin, qui exhibe les non-dits et les réalités du champ de bataille. Entre ces dernières s’intercalent parfois des images évoquant les petits bonheurs perdus, les bons souvenirs, le visage des proches désormais éloignés…On passe de la représentation presque naïve au dessin complexe hyper détaillé. Les variations de couleurs sont également systématiques: noir et blanc, bleu et rouge, aquarelle, sépia… Certains écrivent du front de l’Est, d’autres de Turquie. Certains insistent sur les horreurs de la guerre, d’autres s’efforcent d’évoquer les souvenirs, la proximité feinte avec les leurs. Les uns sont dans les tranchées, d’autres apparaissent dans des hôpitaux ou des cafés glauques…Il y a les courageux et les déserteurs qu’on arrête et qu’on exécute. On improvise aussi des bals dans la salle de la buvette de la gare au retour de permissions. Mais même l’accordéon ne masque pas l’horreur et la peur. Cette guerre, c’est le « ça » qu’on voudrait pouvoir fuir. ”O ma Georgette, je devrais te parler d’amour, et je te parle de ça!… »
Cet album surprenant est une réussite esthétique!